Titre original : VÔ NGÃ
Copyright by Thích Trí Siêu, 1996
 
 RECHERCHE DU "JE"
Traduit du Vietnamien
Par
Huynh Thi Thien (Dieu Tri)
et
Corinne Segers

 

Introduction 

La Souffrance 

L’Origine de la souffrance

La Libération

La voie de la Libération

La relation de Maître à Disciple

Le Non-Soi

Méthode de Pratique

L’Importance du Non-Soi

Conclusion

Sur l’Auteur

Bibliographie

Notes

 

INTRODUCTION

 

Réaliser l’Eveil ou la Libération, est l’objectif fondamental de tous ceux qui s’engagent sur la voie du Bouddhisme. Mais à quoi s’éveille-t’on, qui donc faut-il libérer et pourquoi chercher la libération ?

C’est l’existence de la souffrance qui justifie l’aspiration à la libération. Mais en fait, qui nous fait souffrir ? Qui nous emprisonne ? Est-ce les autres qui nous font souffrir ou la vie qui nous emprisonne?

Il n’en est rien. La cause de notre souffrance n’est autre que le " Je " qui nous enferme dans le cycle des renaissances. Sans ce " Je ", il n’y aurait personne qui puisse éprouver la souffrance, naître ou mourrir.

C’est précisément parce qu’ils croient en l’existence réelle d’un " Je " et qu’ils s’y accrochent désespérément que les êtres souffrent et tournent dans le cycle des renaissances. C’est ce que la terminologie bouddhiste appelle la maladie de " l’attachement au Je "(atmagraha). La fin de cette maladie signifie la fin des renaissances qui n’est autre que la libération.

Si nous voulons guérir la maladie, nous devons tout d’abord prendre conscience que nous sommes malades, et ensuite chercher un traitement. Le remède qui guérit de " l’attachement au Je " n’est autre que la doctrine du " Non-Soi "(Anatman) dont il est question dans les Nikayas (1) .

Le Mahayana développe plus particulièrement la notion de vacuité (sunyata), dont il distingue 2 types : la vacuité de la personne (sattvasunyata), et la vacuité des phénomènes (dharmasunyata). La vacuité de la personne correspond en fait à la doctrine du " Non-Soi ".

En général, pour nous débarrasser de l’attachement au " Je ", nous parlons de " renoncer au moi " ou détruire l'égo. Rester impassible face aux insultes, supporter les coups sans réagir et nous efforcer de rester sereins en toute circonstance, c’est ce qu’on appelle " renoncer au moi ".

Cette méthode n’est cependant pas entièrement fiable, car souvent nous pouvons sembler imperturbables alors qu’intérieurement nous bouillonnons de colère ou, si nous ne sommes pas irrités, notre " Je " se flatte d’être le meilleur pour supporter avec patience tous les affronts !

De la sorte, nous n’avons nullement vaincu le " Je " qui en sort au contraire fortifié.

Combattre le " Je " est inutile. Il suffit de comprendre et de pratiquer le " Non-Soi ".

Pour les Arhats (2) , cette doctrine est à la fois le fondement de la pratique et le but à atteindre. Pour les Bodhisattvas (3) elle constitue aussi la base de la pratique de la Vacuité.

J’aborderai sommairement le " Non-Soi " dans le cadre des Quatre Nobles Vérités, pour ensuite développer l’objectif principal de ce livre, c’est-à-dire présenter au lecteur deux méthodes de pratique du " Non-Soi " : la méthode dialectique de l'école du Milieu (Madhyamika) qui élimine par la négation tous les postulats, et la méthode méditative de la Vision Pénétrante (Vipassyana).

N’étant ni philosophe ni érudit, mais un simple moine errant à la recherche de la Voie, mon style n’est peut-être pas très littéraire. Puissent les vertueux erudits avoir la bonne grâce de me le pardonner.

J’espère que ce livre sera utile aux simples lecteurs comme aux pratiquants.

 

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LA SOUFFRANCE

 

La première des Quatre Nobles Vérités est la Vérité de la Souffrance.

La souffrance est une réalité. Que nous en soyons conscients ou non, la nature même de la vie est souffrance.

Certains s’appuyant sur le raisonnement de l’école Bouddhiste de l’Esprit Seul (4) affirment que si l’esprit pense être heureux, il sera heureux, s’il se croit malheureux, il le sera : quoi que l’esprit pense, les choses seront telles. Si vous partagez cette opinion, essayez, lorsque vous avez par exemple mal aux dents, de penser qu’il n’en est rien, et voyez si la douleur disparait ou non. Mettez votre main dans la flamme brûlante en pensant qu’elle est fraîche et voyez si vous êtes ou non brûlé ...

Que la joie ou la souffrance dépendent de l’esprit signifie en fait que le bonheur ou le malheur que nous éprouvons maintenant sont le résultat de nos actes antérieurs, dont l’esprit était l’agent responsable. Depuis l’instant où l’esprit produit une pensée jusqu’au moment où il en expérimente le résultat s’écoule un certain temps qui dépend de la loi des causes et effets. Il ne faut pas comprendre l’enseignement de " L’Esprit Seul " comme la concrétisation immédiate de ce que l’esprit pense. S’il en était ainsi, il suffirait de penser à un gâteau lorsque la faim nous tenaille pour qu’il apparaisse devant nous.

La souffrance est une réalité. La nature même de la vie est souffrance. Celui qui s’engage dans la pratique bouddhiste doit en avoir clairement conscience. Pourquoi le Bouddha a-t’il quitté son palais pour chercher la Voie ? Si la souffrance n’existait pas, il n’y aurait pas de Bouddhisme. Il s’agit de voir, de constater la souffrance non pour se lamenter mais pour chercher comment y échapper.

Certaines personnes voient la souffrance, savent qu’elles souffrent, mais ne cherchent pas d’échappatoire, car elles croient erronément que c’est là leur destin, le résultat inéluctable de leurs actions passées et elles acceptent avec résignation de payer leurs dettes karmiques.

Mais qui, dans le passé, nous a donc enchaînés à cette vie pour que nous attendions passivement que nos liens se coupent tous seuls ?

Le Bouddhisme enseigne l'amour et la compassion, mais aussi la force et le courage. Nous souffrons parce que nous avons mal agi dans le passé, mais nous ne devons pas rester passifs en cette vie et attendre que notre mauvais karma s’épuise de lui-même. Nous devons chercher activement tous les moyens de nous libérer, nous devons trancher ce mauvais karma avec courage et énergie. Si nous n’y parvenons pas du premier coup, il faut trancher encore et encore jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.

Il ne suffit pas de comprendre une seule fois ce qu’est la souffrance, ou de la prendre occasionnellement comme sujet de méditation pour ensuite la laisser de côté. Il faut continuellement contempler la souffrance, directement en nous-mêmes et autour de nous. Plus l’omniprésence de la souffrance est perçue clairement, plus puissante sera la volonté du pratiquant de s’en libérer.

Qu’est-ce que la souffrance ? Il n’est sans doute pas nécessaire de la définir ici : nous savons tous ce qu’elle est pour l’avoir déjà expérimentée.

Les textes traditionnels bouddhistes énumèrent en général 3 ou 8 sortes de souffrances.

Les trois sortes de souffrances sont :

La Souffrance de la Souffrance : c’est la souffrance qui s’ajoute encore à la souffrance. Alors que nous souffrons déjà, les circonstances qui nous entourent nous créent encore d’autres souffrances.

La Souffrance de la Destruction : c’est la souffrance due à la détérioration.

La Souffrance du Changement.

Les huit sortes de souffrances sont :

La souffrance de la naissance qui comprend à la fois la souffrance au moment de la naissance et la souffrance au cours de la vie.

La souffrance de la vieillesse : en vieillissant, nos capacités physiques et mentales se dégradent, c’est une souffrance qui affecte aussi bien le corps que l’esprit.

La souffrance de la maladie qui tyranise le corps et nous plonge dans la douleur, car la douleur nous affecte, qu’elle soit due à une simple rage de dent, une simple migraine ou à des maladies graves comme la lèpre, la tuberculose ou le cancer.

La souffrance de la mort. La mort nous sépare irrévocablement de nos proches et de nos biens et c’est pourquoi elle nous fait si peur.

La souffrance de la séparation d’avec les êtres chers.

La souffrance de la rencontre avec ce que l’on déteste.

La souffrance due aux désirs non réalisés.

La souffrance due aux cinq agrégats de l’attachement.

Ceci n’est qu’une énumération succinte qu’il est inutile de mémoriser. Considérez directement votre propre vie et voyez par vous-même ce qu’est la souffrance.

La classification ci-dessus ne sert qu’à donner une idée générale.

 

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L’ORIGINE DE LA SOUFFRANCE

 

Ayant réfléchi, contemplé et vu clairement la réalité de la souffrance, comment faire pour échapper à son emprise ? C’est le sujet central du bouddhisme et le véritable objectif de celui qui cherche la voie de l’éveil et de la libération.

D’habitude, lorsque nous fréquentons un centre bouddhiste (je ne parle pas ici des personnes qui s’y rendent pour y faire du bénévolat par plaisir), nous suivons en général les enseignements du Zen, nous pratiquons la " Terre Pure " ou le Tantrisme, suivant l’une ou l’autre voie en espérant rapidement réaliser l’éveil et la libération. Mais nous éveiller à quoi ? La libération de qui ? Avez-vous jamais essayé de remonter le cours de vos pensées ?

Dans mon livre " Le Mahamoudra ", j’ai mentionné sommairement deux sortes de pensées ou de types de réflexion:

1. La pensée à contre courant : il s’agit de pensées discriminatives qui analysent l’origine d’une chose. Ce type de réflexion fait partie de la Sagesse qui a le pouvoir de ramener l’esprit à sa nature originelle, ou à la réalité.

2. Le cours normal de la pensée : ce sont les pensées qui entraînent l’esprit dans les réflexions et les calculs mondains, en rapport avec le " Je ".

Si vous suivez le cours de vos pensées, vous constaterez qu’elles vont à l’infini, ne s’épuisant jamais, sauf si vous les interrompez ou que vous passez à un autre sujet. Par contre, si vous remontez le cours de vos pensées, vous verrez qu’à un certain moment, vous arriverez à une impasse, vous serez arrêté par un mur. Ce n’est autre que le mur de l’Ignorance. Si vous n’utilisez pas la clarté pénétrante de la Sagesse pour le percer, vous serez découragé et reviendrez au cours mondain normal de vos pensées habituelles.

Comment faire pour remonter le courant ? La méthode la plus simple est de vous poser des questions comme : pourquoi ? comment ? qui ? quoi ?

Pour rendre les choses plus claires, prenons " la libération " comme sujet de notre méditation à contre-courant :

- Pourquoi est-ce que je pratique ?

- Parce que je veux me libérer.

- Pourquoi vouloir se libérer ?

- A cause de la souffrance.

- Qui souffre ? Qu’est-ce qui me fait souffrir ?

- Je souffre. Je souffre à cause de la naissance, de la maladie et de la mort.

- Qui nait, vieillit, tombe malade et meurt ?

- Quelle question ! Je meurs, je vieillis, je tombe malade et je meurs. Qui d’autre ?

Une pierre pourrait-elle être sujette à cela ?

- Alors qui est ce " Je " ?

- " Je ", c’est, heu ...., c’est moi ! Je suis " Je ".

" Qui suis-je ? ", " Je suis " Je " ", voilà justement le mur de notre impasse.

Nous tous, bouddhistes, pourquoi devons-nous pratiquer ? Nous pratiquons parce que nous souffrons. Pourquoi souffrons-nous ? Simplement parce que nous avons ce " Je ". S’il n’y avait pas de " Je ", qui donc souffrirait ? Et si " personne " ne souffre, qui donc aurait besoin de suivre la Voie, qui voudrait se libérer ? S’il n’y a pas de " Je ", qui donc naît et meurt ?

En résumé, l’origine même de la souffrance n’est autre que l’existence du " Je ".

Lao Tseu a dit :

" Si j’ai tant de malheurs , c’est à cause de ce corps.
Si je n’avais pas ce corps, comment pourrait-il y avoir souffrance ? "

Pour Lao Tseu, le corps physique est à l’origine de la souffrance, mais si vous comprenez que c’est en fait le " Je " qui est la cause première de la souffrance, vous pouvez imiter Lao Tseu en disant :

" Si j’ai tant de malheurs, c’est à cause de ce " Je ".
Si je n’avais pas de " Je ", comment pourrait-il y avoir souffrance ? "

En général, on considère que ce sont les trois poisons - le désir, l’aversion et l’ignorance - qui sont la cause de la souffrance. L’origine de la souffrance peut être considérée selon différents niveaux de profondeur.

De façon superficielle, la souffrance trouve son origine dans les trois poisons ou les dix émotions perturbatrices qui sont : le désir, l’aversion, l’ignorance, l’orgueil, le doute, la croyance en la réalité du corps, l'éternalisme, le nihilisme, l'obstination, les vues hérétiques.

D’un point de vue plus profond, c’est le désir-attachement qui est à la base de la souffrance, et si nous allons au fond des choses, l’analyse révèle que c’est l’ignorance qui en est la cause première.

L’ignorance se manifeste sous deux formes : -l’attachement au " Je ",

-l’attachement aux phénomènes.

L’attachement au " Je " est la croyance en l’existence réelle, intrinsèque d’un " moi " auquel on s’accroche.

L’attachement aux phénomènes consiste à penser que toute chose possède une nature propre, permanente et inchangée.

Ces deux formes d’attachement sont les deux maladies qui affectent les êtres sensibles depuis des temps sans commencement, et qui sont la cause principale des souffrances du samsara et tout l’enseignement du Bouddha vise à les éliminer.

Le Bouddhisme Theravada met l’accent sur l’éradication de l’attachement au " Je ", tandis que le Bouddhisme Mahayana insiste quant à lui sur l’élimination de l’attachement aux phénomènes.

 

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LA LIBERATION

 

Guéri de l’attachement au " Je ", le pratiquant a parfaitement réalisé le " Non-soi " et atteint l’état d’Arhat, échappant ainsi au samsara (5) .

Guéri de l’attachement aux phénomènes, le pratiquant a parfaitement réalisé la Vacuité et devient un Bouddha, un être ayant atteint l’Eveil Parfait.(Anuttarâ Samyaksambodhi).

On peut se demander qui atteint l’état d’Arhat, si l’on accepte la doctrine du " Non-Soi " selon laquelle il n'y a plus de " Soi " ou de quelqu'un.

Pourtant, si nous méditons profondément sur l’attachement au " Je ", nous comprendrons aisément que la doctrine du " Non-Soi " ne signifie nullement qu’il n’existe plus personne.

Le pratiquant qui a atteint l’état d’Arhat garde toujours son corps et ses cinq agrégats (6) .

Ainsi lorsque Sharipoutra (7) devint un Arhat, il n’a pas disparu, il a continué de vivre, de manger, de boire, de dormir, de parler, etc... mais son esprit étaitparfaitement libre de toute illusion d’un " soi " existant.

Lorsqu’il marchait ou qu’il s’arrêtait, il voyait clairement le mouvement ou l’ arrêt, mais sans concevoir de " Je " distinct qui marche ou qui s’arrête.

De même, s’unir à la vacuité ne signifie pas disparaître dans le néant. Lorsque le Prince Siddharta devint le Bouddha, ni lui, ni l’Inde ne disparurent.

Les notions de " Non-Soi " et de " Vacuité " seront explicitées dans les chapitres suivants.

 

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LA VOIE DE LA LIBERATION

 

Avant de choisir une méthode spécifique de pratique, nous devons avoir une connaissance approfondie des 3 premières Nobles Vérités. Lorsque nous savons clairement pourquoi nous pratiquons, lorsque nous voyons clairement le but à atteindre, nous pouvons alors choisir la voie juste qui nous convient le mieux.

Lorsqu’il aborde la Vérité de la Voie, le Theravada cite en général les 37 Auxilliaires de l’Illumination : les Quatres Etablissements de l’Attention, les Quatres Efforts Justes,

les Quatres Bases des Pouvoirs Miraculeux, les Cinq Facultés ,les Cinq Forces , les Sept Pensées de l’Eveil, l'Octuple Sentier. Le Theravada s’est développé vers le Sud, au Sri Lanka, en Thailande, en Birmanie, au Laos et au Cambodge.

Les Quatres Fondements de l’Attention y sont le plus répandus, et considérés comme la base de la pratique.

Quant au Mahayana, il s’est répandu vers le Nord, en Chine, au Japon, en Corée, au Vietnam et au Tibet. Lorsqu’il traite de la Vérité de la Voie, le Mahayana mentionne également les 37 Auxilliaires de L’Eveil, mais en pratique, il a développé d’autres voies, telles que le Zen, l’Ecole de la Terre Pure (Amidisme), ou le Tantrisme.

Vous vous demandez peut-être pourquoi le Mahayana ne suit pas exactement l’enseignement du Bouddha. Il nous faut revenir à l’interprétation de chaque Ecole : pour le Theravada, toutes les paroles du Bouddha sont Vérité Absolue, alors que pour le Mahayana, tout ce qui correspond à la Vérité Absolue est parole du Bouddha.

Le Mahayana a une optique plus ouverte, il n’est pas limité par le texte des Soutras, il utilise tous les moyens habiles pourvu qu’ils puissent mener les êtres à la Libération qui est le but principal.

A mon avis, des Quatres Vérités, celle de la Voie est la plus importante, car c’est elle qui différencie le Bouddhisme des autres religions. Celles-ci affirment également que la vie est souffrance et que seule une vie en harmonie avec la pratique religieuse peut apporter le bonheur, mais les voies qu’elles proposent ne mènent pas à la Libération Ultime.

Parler de la Voie n’est pas facile. On peut se limiter aux 37 Auxilliaires de L’Eveil, mais si l’on veut être complet, ce sont 84.000 méthodes qu’il faudrait mentionner ! Les êtres sont innombrables et tous ont leur spécificité - comment conseiller à chacun la méthode qui lui convienne ?

Les 37 Auxilliaires de l’Eveil sont en général énumérés et détaillés dans les volumes des Nikaya et de la Prajnaparamita (8) . Quant aux 84.000 méthodes, si elles sont mentionnées globalement, je ne les ai encore vues détaillées clairement dans aucun Soutra ni Shastra (9) .

Si vous souhaitez vraiment vous libérer, je vous conseille sincèrement de commencer par prendre refuge dans les Trois Joyaux (10) et ensuite de chercher un maître pour vous guider.

Si le Bouddhisme est nouveau pour vous, lisez des livres sur le sujet, ils vous donneront une idée générale provisoire de la voie à suivre. Mais ensuite, vous devrez chercher un maître pour vous initier et vous enseigner. Si vous êtes intelligent, si vous avez de bons antécédents karmiques, si vous êtes instruit et avez l’impression de bien comprendre le Dharma, et si pourtant vous n’avez pas encore trouvé le soutien d’un maître pour prendre refuge, il vous manque encore beaucoup !

 

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LA RELATION DE MAITRE A DISCIPLE

 

Un proverbe vietnamien dit " Sans Maître, tu ne feras rien de bon. "

Depuis la Maternelle jusqu’à l’aboutissement de nos études, nous avons étudié auprès de nombreux enseignants. Sans eux, comment aurions-nous appris à lire, à écrire ou à calculer ? En dehors de l’école, le mot " maître " désigne aussi celui qui nous montre comment faire. Si nous n’avons personne pour nous montrer comment nous y prendre, nous avons beaucoup de mal à réaliser quoi que ce soit.

Il en va de même pour le Bouddhisme. Le pratiquant débutant a grand besoin de la guidance d’un Maître. Selon les règles de la discipline monastique, les novices ne peuvent pas quitter leur maître. Même les bhikshus (11) n’ont pas le droit de s’éloigner trop rapidement de lui, de peur que n’ayant pas encore la force suffisante, leur pratique ne dégénère, ou qu’ils ne s’égarent.

C’est la raison pour laquelle la place du maître est si importante.

La deuxième raison est l’importance de l’influence du maître : si notre maître est bon, nous deviendrons bon, s’il est mauvais, nous deviendrons mauvais.

C’est pourquoi nous devons être particulièrement prudent dans le choix d’un maître digne de confiance. Le bon choix nous assurera des progrès rapides. Notre aspiration à la pratique risque de dégénérer et nous pourrons abandonner la Voie et éprouver haine et rancoeur vis-à-vis de tous les maîtres à la suite d’un mauvais choix.

Comment faire ce bon choix ?

Avant tout, vous devez sincèrement aspirer à la Libération, à l’Eveil. Ensuite, priez les Bouddhas et les Bodhisattvas pour qu’ils nous permettent de trouver un maître parfaitement qualifié. Enfin, ne vous précipitez pas, ne choisissez pas à la hâte. Prenez le temps de faire sa connaissance, de vous renseigner, faites un examen critique.

D’après les " 50 Stances de Dévotion au Gourou " (Gurupancasika) d’Ashvaghosha (12) , un maître qualifié doit posséder les 10 qualités suivantes:

1. Garder purs ses voeux et engagements,

2. Pratiquer la méditation et maîtriser la quiétude mentale,

3. Avoir la Sagesse et avoir dissipé toutes les illusions et les obstacles,

4. Avoir une connaissance supérieure à celle de son disciple dans le domaine enseigné,

5. Etre patient et avoir la joie d’enseigner,

6. Avoir une vaste connaissance des Soutras,

7. Comprendre la vacuité en profondeur,

8. Savoir utiliser les moyens habiles appropriés en fonction des aptitudes et inclinations naturelles du disciple,

9. Avoir une grande compassion envers le disciple,

10. Instruire les disciples sans se lasser, sans discrimination de leurs niveaux d’intelligenceou de leur rang social.
 

Si vous avez la chance, grâce à l’accumulation de vos mérites antérieurs, d’avoir rencontré un tel maître, empressez-vous de lui exprimer votre dévotion et demandez-lui de vous accepter comme disciple.

Dans mon livre traitant du Mahamoudra, je parle d’une technique méditative propre au Vajrayana, le " Guru Yoga ".Tous les pratiquants du Mahamoudra en particulier, et du Mantrayana en général, passent par une période de pratique de cette technique. Sans entrer dans le détail, il s’agit de visualiser son maître assis au-dessus de sa tête avant tout autre visualisation. Le rôle du Gourou est absolument essentiel dans le Vajrayana.

Le rôle du maître dans le Vajrayana est-il le même que dans le Mahayana ?

Dans la tradition Mahayaniste, le maître auprès duquel nous prenons refuge, ou qui nous donne pour la première fois les préceptes, est considéré comme étant notre Gourou. D’un point de vue formel, il est notre maître, que nous l’apprécions, que nous l’admirions ou non, car c’est lui qui a accompli la première cérémonie qui nous fait entrer dans le Dharma. Si nous comparons ce Guru au Maître tantrique, nous pouvons provisoirement l’appeler le " Maître formel ".

Selon le Vajrayana, le maître qui nous fait réaliser directement la nature de l’esprit est notre "Maître - Racine " (rtsa ba’i bla ma - prononcé tsawé lama). N’importe quel enseignant peut donc devenir notre Maître-Racine, qu’il nous ait transmis les préceptes ou non.

Qu’il soit votre maître ne dépend d’aucun élément formel, comme d’une cérémonie de refuge, de transmission de préceptes, ou tout autre rituel. Le maître ne dira pas non plus au disciple : " Je suis ton Gourou " ! Il n’y a que le disciple qui puisse choisir son maître. C’est ce que nous pourrions appeler le " Gourou selon l’affinité ".

Si vous avez déjà trouvé votre maître, vous devez lui témoigner une entière confiance, autant de respect et de dévotion que s’il était le Bouddha lui-même.

Si vous considérez votre maître comme un être ordinaire, ses enseignements resteront du niveau de l’ordinaire et vous n’obtiendrez qu’un résultat médiocre. Si vous le considérez comme un Bodhisattva, vous recevrez l’enseignement d’un Bodhisattva et si vous le suivez, vous deviendrez vous-même un Bodhisattva. Enfin, si vous considérez votre maître comme un Bouddha, son enseignement sera celui d’un Bouddha et vous deviendrez un Bouddha en suivant ses instructions.

Considérer son Gourou comme un Bodhisattva ou un Bouddha est le fondement du Vajrayana. Avez-vous déjà essayé de voir votre maître de cette manière ? Si vous ne l’avez jamais fait, essayez ! Vous constaterez que c’est bien plus facile à dire qu’à faire !

Tant que nous sommes encore sous l’emprise de l’attachement à notre " Je ", de l’orgueil et de la fierté, nous avons tendance à ne voir que les défauts des autres. Si nous ne parvenons même pas à leur accorder ne fût-ce que quelques petites qualités, comment pourrions-nous les considérer comme des Bodhisattvas ou des Bouddhas ?

Le Mahamoudra distingue trois aspects de la pratique, qui sont comparés aux trois parties du corps :

1. la dévotion au maître correspond à la tête,
2. la méditation correspond au tronc,
3. le renoncement à la vie mondaine correspond aux jambes.

La dévotion au Maître est la source de tous les accomplissements (siddhi (13) ), et l’on ne saurait assez insister sur l’importance capitale d’avoir un maître pour nous guider. Je ne peux que vous conseiller vivement de chercher un tel maître qualifié qui puisse vous soutenir tout au long du trajet qui mène à la Libération.

Le rapport entre un maître et son disciple est un lien particulièrement sacré. Si nous pouvons suivre un maître pleinement réalisé, ou qui pratique la voie juste, nous atteindrons certainement l’Eveil, si ce n’est dans cette vie, ce sera dans l’une de nos vies futures, et ce grâce à la connexion karmique que nous avons établie avec ce maître. Dans sa grande compassion, il ne nous abandonnera jamais, même si devaient s’écouler des centaines de milliers de vies.

Que nous trouvions notre maître rapidement ou non dépend de notre karma.

Les Bouddhas et les Bodhisattvas sont plus nombreux que les grains de sable du Gange, ils résident partout et ont fait le voeux de sauver les êtres - comment se fait-il que nous ne les voyons pas ?

Si vous n’avez pas encore trouvé votre gourou, priez avec sincérité, récitez les soutras, repentez-vous de vos mauvaises actions passées et continuez de chercher. Comme le dit un proverbe tibétain

" Lorsque le disciple est ‘mûr’, le maître apparait ".

De nos jours, nous sommes pour la plupart indifférents vis-à-vis de la relation Maître-disciple.

Les hommes vont rarement au temple, et s’ils s’y rendent, c’est souvent avec une attitude orgueilleuse : il est rare qu’ils consentent à rendre hommage avec humilité ou à s’abaisser pour demander respectueusement au précieux maître qu’il leur enseigne le Dharma.

Les femmes, au contraire, se rendent fréquemment au temple, mais elles sont souvent en proie au désir, à l’attachement et à la jalousie. Soit elles servent les maîtres en vue d’accumuler des mérites, soit elles viennent leur confier des propos futiles, et ce n’est que rarement qu’elles souhaitent vraiment s’enquérir du Dharma.

Tous devront dès lors attendre bien longtemps avant de trouver leur maître ou ami spirituel.

Plongés dans l’ignorance et la stupidité depuis la nuit des temps, comment pourrez-vous atteindre la Libération sans rencontrer un maître qualifié pour vous guider ?

 

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LE NON-SOI

 

Sabbe samkhârâ aniccâ
Sabbe samkhârâ dukkhâ
Sabbe dhammâ anattâ (14)

Ce qui signifie : Toutes les choses composées sont impermanentes, toutes les choses composées sont souffrances (ou insatisfaisantes), et tous les dharmas (15) sont dépourvu d’un soi.

Ces trois vers sont appelés " trilakshana ", c’est-à-dire les trois signes distinctifs du Dharma, que l’on appelle communément les " Trois Sceaux du Dharma ", vu leur grande importance : ils synthétisent à eux seuls toute la doctrine du Theravada.

Récemment, le Vénérable Thich Nhât Hanh a contesté cette définition. Selon lui, les Trois Sceaux du Dharma sont en fait ce qu’il est convenu d’appeler les Trois Portes de la Libération (Trivimoksha), c’est-à-dire la Vacuité (Shunyata), l’Absence de Forme (Animitta), et l’Absence de Désir (Apranihita). Il explique ces notions en détail dans le cadre de sa traduction et de son commentaire du " Soutra du Sceau du Dharma " (16) .

Le but de ce live est de traiter de la notion de Non-Soi, or les bouddhistes connaissent en général cette notion sous le nom des " Trois Sceaux du Dharma " ou Trilakshana.

Si vous partagez l’opinion du Vénérable Thich Nhât Hanh et considérez que les Trois Sceaux du Dharma ne sont rien d’autre que les Trois Portes de la Libération, c’est votre droit, mais dans cet ouvrage, je m’en tiendrai à l’interprétation traditionnelle qui considère Trilakshana comme étant les Trois Sceaux du Dharma.

Essayons maintenant d’analyser brièvement ces trois vers.

* Sabbe Sankhâra aniccâ, " Tous les composés sont impermanents ".

Les choses composées sont toutes les choses qui apparaissent par la réunion des causes et des conditions karmiques. Toutes ces choses sont impermanentes, c’est-à-dire qu’elles changent et se transforment sans cesse, qu’elles apparaissent et disparaissent.

La plupart des bouddhistes savent et acceptent que la vie est impermanente. Savoir que l’impermanence existe et le comprendre en profondeur sont deux choses différentes. D’habitude, nous n’avons pas clairement conscience de l’impermanence, et nous ne réalisons vraiment l’impermanence des choses que lorsqu’un accident, une maladie ou un décès survient dans la famille. C’est le type d’impermanence que le bouddhisme qualifie de " subite ".

Comprendre cette forme d’impermanence est déjà très utile, car cette prise de conscience est pour beaucoup le déclic qui les pousse à s’orienter vers la vie religieuse.

Il existe cependant une forme d’impermanence plus subtile que vous devriez contempler et que l’on appelle " l’impermanence de l’instant " (ksana (17) ), c’est-à-dire le changement, la transformation, ce qui nait et meurt à chaque seconde, à chaque instant.

Chaque geste, chaque pas, chaque respiration, chaque parole est semblable au mouvement des aiguilles d’une montre qui ne s’arrête jamais (sauf s’il n’y a plus de pile) : tout est impermanent.

Nous pouvons parler de l’impermanence en croyant la comprendre, mais au plus profond de nous, nous chérissons l’opinion contraire : nous tenons les choses pour durables, stables, inchangées, non soumises à la naisssance et à la mort. Nous considérons que l’adolescent d’aujourd’hui est la même personne que le gamin d’il y a dix ans, et nous imaginons que dans vingt ans, la jeune femme que nous venons d’épouser sera toujours aussi jolie. Ainsi nous ne cessons de nous accrocher aux choses, de les solidifier, comme si elles ne devaient jamais changer. Il nous semble impensable que notre ennemi d’aujourd’hui puisse devenir notre ami de demain et nous sommes persuadés que nous aimerons toujours celle qui nous est si chère en ce moment.

La vie est extrêmement fragile : nous pouvons mourir demain, peut-être même ce soir, et pourtant, nous sommes tellement persuadés que nous allons vivre longtemps que nous n’épargnons pas notre peine pour travailler et trouver l’argent qui nous permettra d’acheter une maison, d’ouvrir un commerce, de profiter de la vie, etc...

L’impermanence est la vraie nature des choses, mais nous nous berçons d’illusions quant à leur permanence. La tradition bouddhiste appelle " Ignorance " cette compréhension erronée. Ignorance signifie ici ne pas voir la vérité. Une métaphore pourrait illustrer cet état d’ignorance qui est le nôtre : ne sachant pas que l’eau de mer est salée, nous en buvons en croyant qu’elle nous désaltérera. La première gorgée n’ayant pas épanché notre soif, nous en buvons encore. Plus nous buvons, plus nous avons soif, jusqu’à ce qu’en définitive, nous mourrions .... la gorge sèche !

L’ignorance est la source de toutes les souffrances. C’est à cause d’elle que nous ne voyons pas la réalité. Nous ne nous rendons pas compte de la nature impermanente des choses, et en conséquence nous nous faisons souffrir et nous faisons souffrir autrui. Par contre, si nous parvenons à voir l’impermanence, notre attitude vis-à-vis des choses va changer : l’ami d’aujourd’hui pourra demain devenir un ennemi qui nous insulte sans que cela ne provoque notre colère, si quelqu’un nous nuit aujourd’hui mais vient s’excuser le lendemain, nous serons prêts à lui pardonner, et si un proche quitte ce monde, nous ne seront pas tristes.

Si quelqu’un fait notre éloge, nous n’en éprouverons pas de joie. Ayant pris profondément conscience de l’impermanence, nous ne nous accrochons plus aux choses, nous ne sommes plus pareils à des marionnettes, jouets des circonstances : nous vivons dans la sérénité, la joie et le détachement.

* Sabbe Samkhâra dukkhâ - tous les composés sont souffrance.

Ce vers extrêmement concis et riche de sens mérite explications et commentaires. Textuellement, cela signifie que toutes les choses qui apparaissent par le jeu des causes et conditions sont souffrance.

Je ne sais quelle est votre opinion à propos de cette affirmation, mais je ne suis personnellement pas d’accord. Une table est une chose composée, qui apparait par la conjonction de causes et de conditions, mais une table ne souffre pas ! Qu’on la découpe en morceaux ou qu’on la brûle, elle ne hurlera jamais de douleur ! Et je pourrais citer tant d’autres choses : une maison, une porte, une voiture, .... toutes pourtant conditionnées.

La souffrance est une sensation éprouvée par les êtres sensibles, et les choses inanimées comme les maisons, les portes, les voitures, les tables, les chaises, les nuages et la pluie sont dépourvues de sensations et ne peuvent donc éprouver ni le bien être ni la souffrance.

Le mot " sankhâra " ne désigne selon moi que les êtres sensibles. Ce qui " compose " les êtres sensibles, et plus particulièrement les êtres humains, ce sont les cinq agrégats. Ce sont les éléments constitutifs de ce que nous appelons un être humain. Ils sont par nature impermanents, changeants, sujets à la naissance et à la mort. C’est justement à cause de leurs constantes transformations qu’ils sont un terrain de prédilection pour le développement de la souffrance. C’est ce que l’on nomme la souffrance liée aux Cinq Agrégats (pancûpâdânak-khandâ dukkhâ) ou la souffrance de ce qui est composé (sankhâradukkhâ).

Comme je l’ai mentionné au début de ce livre, si la souffrance n’existait pas, il n’y aurait pas de Bouddhisme, puisque le Bouddhisme est la voie qui libère de la souffrance ! Et pourtant, bien des gens n’ont pas encore réalisé ce fait. Nous avons vu que la souffrance peut être subdivisée en trois ou huit types, mais nous n’allons distinguer ici provisoirement que deux formes de souffrances : la souffrance psychique et la souffrance physique.

Parmi les huit types de souffrances énumérées plus haut, trois concernent la souffrance psychique (la souffrance de la séparation d’avec ceux qu’on aime, la souffrance de la non-réalisation de nos désirs et la souffrance de la rencontre avec des êtres indésirables), trois concernent la souffrance physique (la naissance, la vieillesse et la maladie), et deux peuvent concerner aussi bien le corps que l’esprit (la mort, et la souffrance liée aux 5 agrégats).

Si vous êtes un pratiquant de haut niveau n’éprouvant plus ni haine ni attachement ni désir pour quoi que ce soit, vous pouvez vous vanter de ne plus être concerné par la souffrance !

Mais il ne s’agit seulement que de la souffrance psychique.

Ou peut-être êtes-vous né dans une famille riche, jouissez-vous d’une bonne santé et d’un tempérament insouciant ? Mais je vous conseille de ne pas trop vite vous vanter de ne pas connaître la souffrance, car vous profitez sans doute maintenant du fruit de vos actions vertueuses du passé. Soyez très prudent, car vous êtes en train de consumer votre capital de chance et de bonheur !

Quoi qu’il en soit, il vous sera bien difficile d’échapper à la souffrance physique, et tout particulièrement au vieillissement et à la mort. Même le Bouddha et les Arhats n’ont pu les éviter. Avant d’entrer en Nirvana, le Bouddha lui-même a souffert de maladie. Si vous avez étudié la médecine ou les sciences naturelles, vous pourrez le confirmer. Le corps humain, en dehors des 32 sortes de viscères répertoriées dans les soutras, comme le coeur, le foie, les poumons, ... est constitué de milliers de millions de cellules différentes, sans compter les innombrables virus et bactéries qui vivent dans l’intestin , l’estomac, etc... Lorsqu’une cellule se multiplie de façon désordonnée, nous tombons malades. Par conséquent, nous avons des centaines de milliers d’occasions de tomber malade. Si vous êtes encore en vie et en bonne santé aujourd’hui, réjouïssez-vous en, car c’est une grande chance. Rendez-en hommage aux Trois Joyaux et remerciez les !

Tomber malade est très pénible : nous éprouvons de la difficulté à manger et nous sommes accablés par la douleur. La maladie est en outre un grand obstacle pour le pratiquant, l’empêchant de réciter les soutras, de s’asseoir en méditation , d’étudier le Dharma, etc...

Il n’a d’autre occupation que d’aller voir le médecin, rester couché et endurer la douleur.

" Il vaut mieux prévenir que guérir ", aussi, c’est maintenant que nous sommes en bonne santé, que nous avons l’esprit clair, qu’il nous faut pratiquer et cultiver la vertu, source des bienfaits. N’attendons pas d’être malades pour nous rendre au temple et prier les Bouddhas pour qu’ils nous rendent la santé.

* Sabbe Dhammâ anattâ - tous les dharmas sont dépourvus d’un Soi.

La doctrine Theravada explique cette phrase comme signifiant qu’aucun phénomène n’est l e " Je ", qu’aucun phénomène n’appartient au " Je " et qu’aucun phénomène n’est l’essence du " Je ".

Beaucoup d’érudits Mahayanistes s’accordent avec cette interprétation. Cette conception ne semble combattre que l’attachement au " Je " d’un être sensible, sans entrer en profondeur dans la nature des phénomènes.

On peut comprendre cette phrase comme signifiant que les phénomènes sont dépourvus d’un soi inhérent, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de nature propre fixe ou définie.
La Mahayana a développé par la suite le principe de la Vacuité à partir de la notion de Non-Soi, et il a élargi le concept de phénomène qui n’est plus dès lors limité aux seuls êtres sensibles.

Ce troisième vers n’utilise plus le terme " composés " (Sankhâra), mais bien le terme " phénomènes " (dhamma), qui a un sens plus large, englobant aussi ce qui n’est pas composé.

" Sankhara " désigne tout ce qui est constitué de parties, tout ce qui est conditionné, alors que " Dhamma " comprend à la fois ce qui est conditionné et ce qui ne l’est pas . Ce qui n’est pas conditionné n’est soumis ni à la naissance ni à la mort comme par exemple la nature de Bouddha, le Nirvana ou la véritable nature des choses " telles qu’elles sont " (tathâta).

Comme ce livre a pour objectif de parler du Non-Soi afin d’éliminer notre attachement au " Je ", je propose de limter provisoirement le sens du mot " Dhamma " à un objet concret et précis : l’être humain.

Que l’être humain soit dépourvu de nature propre signifie qu’il n’a pas de " Soi ou Je ". Nous sommes tous des hommes, et par conséquent, nous n’avons pas de " Je ". Mais si nous n’avons pas de " Je ", qu’avons-nous donc ?

Pour pouvoir comprendre ce qu’est le Non-Soi, nous devons préalablement clarifier la notion de " Soi ". Nous devons d’abord comprendre clairement ce qu’est le " Je " avant de pouvoir comprendre sa non-existence. Vous vous souviendrez qu’au chapitre III traitant de l’origine de la souffrance, je vous ai invités à remonter le cours de vos pensées jusqu’au mur de l’impasse, c’est-à-dire jusqu’à l’interrogation " Qui est ce ‘Je’ ? ".

Cette question peut paraître insignifiante, pourtant elle est d’une importance capitale !

Si vous ignorez qui vous êtes, vous serez incapables de faire quoi que ce soit. Si quelqu’un vous demande qui vous êtes et que vous répondez que vous n’en savez rien, on vous prendra pour un fou. C’est pourquoi vous répondez d’habitude : " Je suis Michel Dupont. Je suis directeur, ingénieur, médecin " ou que sais-je. Une telle réponse vous rassure et satisfait tout le monde. Mais êtes-vous vraiment ce que vous venez d’énoncer ? Ce ne sont que des étiquettes sociales que vous empruntez momentanément, mais en soi, vous n’êtes aucune d’elles !

D’un point de vue bouddhiste, il vous sera tout aussi difficile de progresser si vous ignorez qui vous êtes. Si vous pensez être le Vénérable X, le Président d’Association Y ou le Docteur Z, c’est encore bien plus dangereux, car si vous identifiez votre " Je " de la sorte, il vous faudra une magnifique pagode, une grande association qui regroupe beaucoup de monde, et de vastes assemblées qui soient dignes de l’étiquette que vous avez collée sur votre " Je ".

En dehors du " je ", il y a aussi ce qui " appartient au je ", comme " mes " enfants, " ma " femme, " ma " maison, " ma " pagode, etc... Toute votre vie, vous n’avez cessé d’accumuler du karma, de travailler dur et de vous serrer la ceinture pour satisfaire les exigences du " Je " et de " ses  possessions ", mais en définitive, vous quitterez cette vie les mains vides, vous ne pourrez emporter avec vous le moindre mérite. N’est-ce pas frustrant et idiot?

Revenons à la question " Qui suis-je ? ". A mon avis, la question " Que suis-je ? " serait plus pertinente.

" Je " suis un être humain. Comme vous le savez sans doute, un être humain est constitué de cinq agrégats. Chaque fois que ces 5 agrégats sont réunis, nous appelons cette combinaison un être humain.

Selon la doctrine du Theravada, l’être existe réellement, mais le " Je " n’existe pas, n’étant qu’une étiquette conventionnelle, un " nom provisoire ". L’Ecole de la Voie du Milieu (Madhymika) a développé par la suite la doctrine de la Vacuité (sunyata) selon laquelle l’être humain lui-même n’a d’autre existence que celle d’une convention formelle, d’un " nom désigné ". Mais laissons provisoirement de côté la doctrine de la Vacuité pour ne nous occuper que de la doctrine du Non-Soi du Theravada, car l’assimilation de celle-ci est déjà d’une grande utilité.

En fait, la doctrine du Non-Soi n’est propre à aucun Véhicule en particulier, mais je l’appelle ainsi parce que le Theravada insiste tout particulièrement sur cette notion.

Selon moi, le Non-Soi est une doctrine de base essentielle pour atteindre la Libération. D’autres doctrines peuvent être tout aussi importantes ou même plus profondes encore, mais toutes reposent sur la doctrine du Non-Soi, comme une maison de plusieurs étages est construite sur des fondations solides. Si vous construisez une maison sur du sable ou de la vase, tôt ou tard, elle s’effondrera.

Pourtant, bien qu’il soit si important, le Non-Soi et la façon de le pratiquer ne sont que rarement abordés dans les livres.

 

1. Les 5 agrégats (skandhas)

Ne vous imaginez surtout pas que simplement parler du Non-Soi ou comprendre de quoi il s’agit va vous faire immédiatement réaliser l’état d’Arhat. Comprendre est une chose. Pratiquer et réaliser le Non-Soi en est une autre! De plus, dans le contexte du Theravada qui est le nôtre en ce moment, il n’est pas question d’un Eveil spontané en percevant directement notre Nature de Bouddha.

Selon le Theravada, tous les phénomènes existent bel et bien, à l’exception du " Je ", qui n’est qu’une illusion, une désignation conventionnelle des 5 agrégats.

Que sont donc ces 5 agrégats ?

La plupart des Bouddhistes savent sans doute de quoi il s’agit, mais je tiens à préciser leur définition pour éviter tout malentendu.

Les 5 agrégats sont : la forme, la sensation, la perception, les formations mentales et la conscience. " Agrégats " traduit le mot sanskrit " Skandha ", qui signifie groupement, assemblage, réunion.
 

* L’agrégat de la forme

Il s’agit du corps humain, composé des 4 éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - qui apparaissent sous 32 formes, dont les cheveux, les oreilles, le nez, la langue, le coeur, le foie, les intestins, les poumons, etc... L’agrégat de la forme est relativement concret, facile à reconnaître, et il ne nécessite donc pas d’explications plus détaillées.
 

* L’agrégat de la sensation

Il s’agit des sensations qui naissent du contact entre :

les 6 organes des sens et les 6 objets des sens.

1. yeux, 1. formes,
2. oreilles, 2. sons,
3. nez, 3. odeurs,
4. langue, 4. saveurs,
5. corps, 5.objets perceptibles par les ter- minaisons nerveuses du corps,
6. conscience 6. et phénomènes.

Il existe donc 6 sortes de sensations : les sensations visuelles, les sensations auditives, les sensations olfactives, les sensations gustatives, les sensations tactiles et les sensations mentales.

Les 5 premières sensations peuvent être de 3 types : agréables, désagréables, ou indifférentes.

Quant aux sensations mentales, l’Ecole de l’Esprit Seul (Cittamatra ou Yogachara) en distingue 5 catégories : agréables, désagréables, indifférentes, tristes, ou gaies.

Prenons quelques exemples.

Lorsque vous fixez le soleil, vous êtes éblouï, et vos yeux vous font mal : il s’agit d’une sensation visuelle désagréable.

Lorsque vous entendez une musique douce et mélodieuse, vous souhaitez prolonger l’écoute : c’est une sensation auditive agréable.

Lorsque vous apprenez le décès d’un proche, vous en êtes affecté : il s’agit d’une sensation mentale triste.

* L’agrégat de la perception

La perception signifie ici la reconnaissance opérée par les organes sensoriels. Du contact entre les 6 organes des sens et leurs 6 objets naissent 6 types de perception :

1. L’oeil voit la forme, la vue n’est autre que la perception visuelle.

2. L’oreille entend le son, l’ouïe n’est autre que la perception auditive.

3. Le nez sent l’odeur, l’odorat n’est autre que la perception olfactive.

4. La langue goûte la saveur, le goût n’est autre que la perception gustative.

5. Les terminaisons nerveuses du corps perçoivent les choses qu’elles touchent, le toucher n’est autre que la perception tactile.

6. Le mental reconnait les phénomènes, la connaissance n’est autre que la perception mentale..

Le mental dans ce contexte traduit le mot sanskrit " Manas ", ou organe mental, tandis que les phénomènes dont il est question sont ceux qui font partie du fonctionnement du mental, comme les pensées, les idées, les souvenirs, l’imagination, ...

Il est à noter qu’à ce stade, aucune des perceptions ne produit d’effet karmique. Les perceptions sont dépourvue de pouvoir actif , elles sont un simple processus réactif neutre et spontané naissant du contact entre les 6 organes des sens et leurs 6 objets respectifs.

C’est ce que l’Ecole de l’Esprit Seul appelle " la Cognition valide par l’Evidence " (pratyaksapramâna (18) ).

Il me semble nécessaire de faire une remarque au sujet des phénomènes mentionnés ci-dessus, à savoir la conscience, le souvenir, la perception , la pensée, ...

En général, nous les considérons comme le produit de l’organe mental, ou pour parler plus simplement, de l’esprit. Or ce ne sont pas les produits de l’esprit, mais bien les objets de l’activité pensante, reminiscente, perceptive de l’esprit.

Au lieu de comprendre la pensée comme la perception même de l’esprit, nous pensons qu’elle est le produit de l’activité mentale, nous en faisons " la pensée ". Pour éviter cette méprise, regroupons la pensée, le souvenir et la perception sous le terme de " champ sensoriel du mental ". Ce " champ sensoriel " n’est qu’une petite partie des phénomènes qui constituent l’immense objet global de l’esprit.

L’agrégat de la perception est en général compris comme équivalent à l’imagination (19) . Qu’est-ce que l’imagination ? Nous pouvons lui donner deux significations, l’une passive, l’autre active.

1. La signification passive :

Il s’agit de la reconnaissance, de l’enregistrement, de la réception d’images et de formes mentales par les 6 organes des sens .Par exemple : des images du passé (une montagne, une rivière, ...) surgissent tout-à-coup dans l’esprit. Lorsque ces images apparaissent et que le mental les perçoit, c’est ce qu’on appelle l’imagination.

Il n’y a pas ici " d’activité " mentale, puisque l’esprit receptionne passivement ces images. Il en irait autrement si nous faisions un effort pour nous souvenir, si nous nous torturions les méninges pour essayer de visualiser une image : il s’agirait alors d’une activité volontaire de l’esprit faisant partie du karma. Lorsque cette image apparaît enfin à la conscience, il y a alors réception et c’est à ce moment là qu’on peut parler de perception.

Il s’agit donc de la perception d’images qui se manifestent suite à l’effort de réminiscence, à l’activité mentale.

2. La signification active :

" Imaginer ", c’est créer dans l’esprit des images, soit de choses qui ont au préalable impressionné les sens, soit de choses nouvelles qui ne se sont pas encore produites.

Dans l’usage courant, c’est ce deuxième sens qui prévaut. " Imaginer " est donc dans ce cas un verbe actif, susceptible de générer du karma (20) . Cependant, en tant qu’agrégat de la perception, " Samjna " a une signification passive, et n’est pas générateur de karma.

Le terme vietnamien qui le traduit, " tuong " semble simple à première vue, pourtant sa signification n’a encore jamais été uniformisée jusqu’à ce jour. Les remarques qui précèdent ne sont que mon interprétation personnelle, je ne prétends pas avoir raison. Chacun est libre de penser avoir raison, mais personne n’a le droit d’imposer ses croyances à autrui. Tout jugement n’est qu’une appréciation subjective et relative.

J’élargirai vos possibilités de choix en énumérant ci-dessous quelques unes des interprétations alternatives du mot " tuong" telles qu’on peut les trouver dans certains ouvrages écrits en vietnamien :

-Dans son livre " Le Problème de la Cognition dans l’Ecole de l’Esprit Seul " (21) , le Vénérable Thich Nhât Hanh, parlant des 5 agrégats, traduit " tuong" par " concepts ".

-Dans sa traduction commentée du Soutra " Le Sceau du Dharma " (22) , le même auteur traduit " tuong" par " perception ".

-Dans son ouvrage " L’Essentiel de l’Abhidharma-kosha " (23) , le Vénérable Thich Duc Niêm explique "tuong" comme étant " la perception cognitive globale des sens, qui conduit à la pensée, au souvenir et à la reflexion. "

- Dans le " Dictionnaire du Bouddhisme " (24) , Doàn Trung Con traduit ce terme par " idée, imagination au niveau du mental ".

En dehors des oeuvres précitées, l’interprétation la plus courante donne à " tuong" le sens de " souvenir, imagination ". Vous vous demandez peut-être de quoi l’imagination pourrait faire partie si ce n’est de ce troisième skandha. .
La littérature bouddhiste utilise de nombreux mots dont la signification varie selon les circonstances et le contexte. Selon moi, le mot " samjñ a " signifie " perception ", c’est-à-dire la connaissance qui naît du contact entre les sens et leurs objets, et non " imagination ".

Dans la psychologie bouddhiste, " samjñ a " est considéré comme l’un des 51 facteurs mentaux (caitas) selon l’Ecole de l’Esprit Seul, ou des 52 cetasikas selon l’Abhidhammattha-sangaha ou des 46 facteurs mentionnés dans l’Abhidharma des Sarvastivadins. Dans ce contexte particulier, on peut considérer que ce mot signifie " imaginer ", parce que son sens est actif , et qu’il fait partie du skandha suivant (samskâra skandha).

Dans l’ouvrage précité " Le Problème de la Cognition dans l’Ecole de l’Esprit Seul ", samjna est abordé en tant que facteur mental de la manière suivante : " samjna " est l’action de la faculté intellectuelle sur les images (impressions des objets dans l’esprit) que l’on peut recevoir, ou pour l’exprimer autrement, c’est le mécanisme qui crée les concepts.

L’ouvrage " Bouddhisme Général " (25) définit samjna de façon plus simple comme le souvenir, qui a pour fonction d’inventer des noms pour évoquer les choses.

Pour résumer, lorsque vous rencontrez le mot " tuong ", vous devez exercer votre esprit critique pour savoir s’il s’agit de l’agrégat de la perception, ou de celui des formations mentales.

Nous avons parlé du souvenir, de la perception et de la pensée, mais pas encore de la conscience : appartenant au cinquième skandha, nous l’aborderons plus tard.

* L’agrégat des Formations Mentales

C’est la synthèse des idées qui circulent. Le terme choisi en vietnamien37 pour traduire " samskâra " signifie " aller, faire, continuer de, transformer ". Le français quant à lui utilise en général " formations mentales ". Lorsque l’organe mental fonctionne en association avec les facteurs mentaux, le résultat de cette activité sont des idées, ou de façon plus générale, tous les objets du mental, les objets des 51 facteurs mentaux (caittas) ainsi que leurs objets.
Ces 51 facteurs mentaux sont les suivants :

- 5 facteurs omniprésents : le contact, l’intention, la sensation, la discrimination et l’engagement mental

- 5 facteurs déterminants: l’aspiration, la foi, l’attention, la stabilité, la sagesse

- 11 facteurs vertueux : la foi, la honte, l’embarras, l’absence d’attachement, l’absence de haine, l’absence d’ignorance, l’effort, l’adaptabilité, l’absence de négligence, l’ équanimité, l’absence d’intention de nuire

- 6 émotions perturbatrices de base : le désir, la colère, l’ignorance, l’orgueil, le doute, les vues fausses

- 20 émotions perturbatrices secondaires : agressivité, ressentiment, dissimulation, méchanceté, jalousie, avarice, tromperie, garder les choses secrètes, arrogance, désir de nuire, absence de honte, absence de gêne, léthargie, excitabilité, absence de foi, paresse, absence de d’attention, oubli, absence d’introspection, distraction.

- 4 facteurs indéfinis : le regret, le sommeil, l’investigation, l’analyse.

Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, vous pouvez étudier la doctrine de l’Ecole de l’Esprit Seul (Cittamatra), ou l’Abhidharmakosha.

* L’agrégat de la Conscience

Il s’agit de la cognition, de la discrimination, de la compréhension. " Vijnâna " est aussi parfois traduit par " discernement ". Selon la doctrine originelle, la conscience naît de contact entre les 6 organes des sens et leurs 6 objets, donnant lieu à 6 types de conscience :

1. La conscience visuelle est la connaissance qui nait du contact entre l’oeil et la forme.

2. La conscience auditive est la connaissance qui naît du contact entre l’oreille et le son.

3. La conscience olfactive est la connaissance qui naît du contact entre nez et l’odeur.

4. La conscience gustative est la connaissance qui naît du contact entre la langue et la saveur.

5. La conscience tactile est la connaissance qui naît du contact du corps et de ce qu’il touche.

6. La conscience mentale est la connaissance qui naît du contact entre l’organe mental et ses objets.

Depuis l’explication de l’agrégat de la perception, si j’utilise le terme " organe mental ", c’est afin de bien marquer la différence entre ce dernier qui correspond au terme sanskrit " manas " et la conscience mentale qui est " mano-vijnâna " en sanskrit. C’est à partir de l’organe mental que se développe la cognition que l’on appelle " conscience mentale ".

* Ce qui distingue la perception de la conscience :

La perception correspond à la connaissance sensorielle. La conscience est aussi une connaissance des 6 sens. Qu’est-ce qui les différencie ?

La connaissance sensorielle de la perception est de nature élémentaire et spontanée, alors que la connaissance qui correspond à la conscience est de nature conceptuelle, analytique.

Prenons un exemple pour illustrer ces deux formes de connaissance : un enfant naïf, un homme et une pièce d’or. Si l’enfant ramasse la pièce d’or en rue, il n’y verra qu’un objet rond, doré, mince, avec de beaux dessins, dont il pourra se servir comme jouet. L’enfant n’a aucune idée de la valeur de l’argent. Nous pouvons comparer la façon dont l’enfant voit la pièce d’or à la perception.

Par contre, lorsque l'homme voit la pièce d’or, il sait tout de suite qu’il s’agit d’une pièce d’or et il connait sa valeur. Cet argent lui permettra d’acheter tout ce qu’il désire. Nous pouvons comparer la façon dont l'homme voit la pièce d’or à la conscience.

En fait, si nous restons dans le cadre du Theravada, nous pourrions nous arrêter à la définition des 5 agrégats que nous venons de faire. Mais comme la plupart des gens confondent l’esprit, l’organe mental et la conscience, permettez-moi d’emprunter quelques éléments à l’Ecole de l’Esprit Seul pour établir une distinction précise entre ces trois notions.

Je n’oublie certes pas que ce livre est sensé parler du Non-Soi, et non de la doctrine de l’Ecole de l’Esprit Seul, mais le " Soi " est un assemblage complexe, constitué des 5 agrégats. Parmi ceux-ci, c’est au niveau de l’agrégat de la conscience que nous retrouvons le coupable de l’attachement au " Je ". Or c’est l’Ecole de l’Esprit Seul qui détaille l’agrégat de la conscience de la façon la plus complète.

Selon cette Ecole, l’Agrégat de la Conscience (vijnâna skandha) comprend l’Esprit (citta), l’Organe Mental (manas) et la Conscience (vijnâna). Nous avons vu précédemment qu’il existe 6 consciences. Le Mental (Manas) constitue la 7ème conscience et l’Esprit constitue la 8ème conscience.

Cette huitième conscience est la conscience-réservoir ou conscience âlaya (âlaya-vijñ ana), et elle a trois significations :

a - C’est le " réservoir " qui contient et conserve toutes les " semences " (bija) des phénomènes,
b - C’est le substrat imprégné, coloré par les potentialités (bija) qu’il recèle,
c - C’est la base de l’attachement au Soi, l’âlaya-vijñ ana parasité par la septième conscience (manas) qui l’assimile au " Je ".

Les potentialités de cette conscience sont infiniment vastes et profondes, et restent inaccessibles à notre compréhension normale. L’âlaya-vijnana est la base sur laquelle naissent et se développent les 7 autres consciences. L’âlaya-vijnana ne reste jamais statique, et son évolution ne prend pas fin à la mort d’un individu. Sa nature est neutre et indifférenciée, ce qui signifie qu’elle n’est pas obscurcie par l’ignorance et qu’on ne peut la qualifier ni de bonne ni de mauvaise. Ce n’est donc pas elle la coupable de l’attachement au " Je ".

La septième conscience, Manas-vijnana, est un organe mental, c’est-à-dire la base du développement de la conscience mentale, tout comme l’oeil est l’organe de la vue, la base de la conscience visuelle. On l’appelle aussi " Conscience-Interface ", en raison de sa capacité de transmission : elle peut faire passer vers l’âlaya des phénomènes qui se manifestent dans le présent, et inversément, elle peut actualiser des potentiels présents sous forme de " semences " dans l’âlaya.

On considère que cette septième conscience est la principale coupable de l’attachement au " Je ", attachement que l’on qualifie de " co-émergent ", car il surgit au moment même où un être prend vie. Cet attachement est extrêment difficile à détruire.

En général, Manas correspond aux quatres émotions perturbatrices de base qui sont l’ignorane (avidya), l’amour du " Je " (âtmasneha), les vues erronées concernant le " je " (âtmadrsti) et l’orgueil (asmimâna) qui élève le " Je " au-dessus de tout.

La sixième conscience, mano-vijnana, correspond à la connaissance qui naît du contact entre l’organe mental et les phénomènes. Cette cognition peut prendre trois formes :

a - La cognition qui naît de l’évidence : c’est la connaissance directe, immédiate, spontanée, qui ne passe pas par une réflexion ou une analyse,

b - La cognition qui naît de la déduction : c’est la connaissance par la réflexion, la déduction, l’analyse,

c - La cognition erronée : il s’agit d’un disfonctionnement des 2 types précédents de cognition, qui reflètent la réalité de manière erronée. L’exemple classique de cette cognition erronée est de prendre, dans la pénombre, un bout de corde pour un serpent.

Des huit consciences, c’est mano-vijnana qui est la plus vive et la plus intelligente. C’est pourquoi dans " Le Recueil des Huit Consciences " de Hsuan- Tsang on trouve le vers :

" En particulier, il existe une conscience extrêmement vive "

qui vise cette sixième conscience. Qu’il s’agisse de penser à accomplir une bonne action ou de manigancer un mauvais coup, elle est la première. Comme le dit le proverbe vietnamien :

" Première pour la vertu, en tête pour le vice ! "

Du point de vue de la culpabilité de mano-vijnana par rapport à l’attachement au " Je ", nous constatons que cette conscience est coupable à la fois d’attachement au " Je " et d’attachement aux phénomènes. Cependant c’est un attachement dû au processus erroné de cognition dualiste, et cette forme d’attachement est relativement facile à éliminer.

Dans notre pratique visant à réaliser le Non-Soi, cette sixième conscience nous sera d’une grande utilité. . Nous pouvons considérer provisoirement que notre définition des cinq agrégats est suffisante. Ces cinq agrégats constituent, en abrégé, le complexe physico-psychique. Nous avons séparé les agrégats les uns des autres, mais en fait, ils fonctionnent en étroite coordination sans qu’on puisse les dissocier les uns des autres.

Prenons par exemple une rage de dents. La dent fait partie du corps, qui correspond à l’agrégat de la forme. La souffrance est une sensation désagréable relevant de l’agrégat de la sensation. La perception de cette douleur appartient au troisième agrégat. Identifier clairement qu’il s’agit bien d’une rage de dent est du ressort de l’agrégat de la conscience, et chaque fois que ce dernier fonctionne, son activité est soutenue par les divers facteurs mentaux et l’agrégat des formations mentales entre ainsi également en jeu.

 

2. L’Attachement au " Je "

De toute éternité, il n’y a jamais eu de " Je ". Le " Je " n’a jamais eu d’existence réelle, il n’est qu’un mirage, une étiquette. Qu’est-ce qu’un mirage ? Lorsque vous marchez dans le désert, tenaillé par la soif, il vous semble apercevoir un lac dans le lointain. Vous courez vers lui, mais il n’y a que du sable là où vous pensiez trouver un point d’eau. Le lac n’était qu’un mirage, une apparence dépourvue d’existence réelle.

De la même manière, l’homme perçoit toujours un " Je " qu’il ne trouvera nulle part s’il le cherche. Pourquoi ? parce que ce " Je " n’est qu’une étiquette, une désignation conventionnelle de la réunion des 5 agrégats /d’un complexe constitué de l’assemblage des 5 agrégats. Comment se fait-il donc que nous ayons en permanence l’impression que ce " Je " existe ? Dès que nous ouvrons la bouche, ce ne sont que " Je ceci.... ", " Je cela... ". Nous conseillons sans cesse aux autres de renoncer à leur moi, ou nous les traitons de sales égoïstes ! Mais qui peut vraiment prétendre savoir ce qu’est l’ego ?

Le " Je " n’ayant jamais eu la moindre existence, comment y renoncer ? Conseiller à quelqu’un de renoncer au " Je " équivaut à l’envoyer arracher les poils d’une tortue, c’est-à-dire à accorder une existence à ce qui n’en a jamais eu. Demander à quelqu’un d’arracher les poils d’une tortue présuppose l’existence de poils de tortues. Il n'est pas question ici de détruire le Je ou d'y renoncer mais de bien comprendre son existence illusoire afin de se libérer de son emprise.

Les Shastras répertorient 62 vues erronées relatives à l’attachement au " Je ", aucune ne sortant du cadre des 5 agrégats. Nous pouvons les regrouper sous 4 rubriques principales comme suit :

1. La forme est le " Je "

Le corps composé des 4 éléments, des membres et des organes est pris pour le " Je ". Par exemple, lorsque le corps se déplace, " Je me " déplace. Regardant dans un miroir et y apercevant un beau visage, " Je me " trouve beau.

2. La forme est dans le " Je "

Le corps est considéré come faisant partie d’un " Je " plus vaste. " Mon pied me fait mal " siginifie dans ce contexte que le pied est une partie du grand " Je ".

3. Le " Je " est dans la forme

Le " Je " est considéré comme une petite partie de la forme, la forme englobant le " Je ". En disant par exemple " J’ai mal au ventre ", le " Je " est inclu dans la forme (ici, le ventre).

4. Le " Je " possède la forme

Le " Je " est vu comme extérieur à la forme et comme son maître, comme par exemple, lorsqu'on dit " Je dois prendre soin de mon corps ".

Nous avons appliqué ces 4 façons erronées de s’attacher au " Je " à l’agrégat de la forme. Nous pourrions en faire de même pour chacun des 4 autres agrégats, ce qui nous donne en tout 20 vues erronnées relatives aux 5 agrégats. Comme chacune de ces 20 vues peut avoir lieu dans l’un des 3 temps (passé, présent et futur) : nous pouvons par exemple considérer la forme (le corps) d’hier, d’aujourd’hui ou de demain comme notre " Je ". La combinaison nous donne 60 vues erronées (20 X 3). S’ajoutent à celles-ci 2 vues fausses supplémentaires, qui sont l’éternalisme (considérer que le " Je " est permanent et éternel) et le nihilisme (considérer que le " Je " disparaît complètement après la mort). Au total, nous avons donc bien 62 vues erronées concernant le " Je " (satkâyadrsti).

Vous devriez chacun mener un examen approfondi aussi bien dans votre vie quotidienne qu’au cours de la méditation pour déterminer quelle forme prend votre attachement au " Je ", et ce que vous prenez exactement pour le " Je ".

 

3. Sans Maître

Nous avons vu que l’attachement au " Je " propre à la septième conscience, Manas, est co-émergent, c’est-à-dire que son apparition est simultanée à l’apparition de l’individu. En fait, Manas a développé un attachement au " Je " bien avant la naissance de l’individu en prenant le processus de perception (darsanabhâga) de l’âlaya pour objet, et le considérant erronément comme " Je ". Par conséquent, cette forme d’attachement au " Je " est extrêmement subtile. Au moment de la naissance de l’individu, manas a l’occasion de renforcer son attachement au " je " en estampillant tous les objets de la marque " Je " ou " Mien ".

Chaque fois que nous ouvrons la bouche pour prononcer " Je ", nous renforçons l’existence de ce " Je ", sauf si notre conscience mentale sait qu’il ne s’agit là que d’un langage conventionnel.

L’attachement au " Je " de la conscience mentale, quant à lui, est discursif, c’est-à-dire qu’il est le résultat d’un processus cognitif erroné, lui-même le fruit de l’Ignorance, de la méconnaissance du Dharma, des Quatre Nobles Vérités, des Trois Sceaux du Dharma (impermanence, souffrance et Non-Soi), etc ...

Considérant ce corps composé des 4 éléments, au lieu de constater correctement " c’est un corps ", la conscience mentale note " c’est mon corps ". Au lieu de constater " le corps se déplace ", ou " il y a mouvement ", la conscience enregistre " Je marche ".

Bien qu’elle s’attache à un " Je ", la conscience mentale a cependant la faculté de constater, de discerner les choses telles qu’elles sont (yathâbhutam).

Si cette conscience a l’occasion d’apprendre, de comprendre et de méditer le Non-Soi, petit à petit elle abandonnera son mode de perception erroné pour réaliser que marcher, se tenir debout, s’asseoir, parler, etc ... ne sont que le mouvement des 5 agrégats sans qu’il y ait " d’instance suprême " dirigeant le mouvement. Il n’existe pas de " Je " substantiel qui soit le maître des 5 agrégats et qui les commande. La pratique méditative des " Quatres Fondements de l’Attention " est très efficace pour affiner et épurer la conscience (afin qu’elle parvienne à cette réalisation).

Dans " La Pratique des Quatres Fondements de l’Attention ", dans la partie qui traite de l’attention à la sensation (26) , j’ai insisté pour que le pratiquant de cette méthode évite absolument de noter mentalement " J’ai mal aux jambes ", ou " Mes jambes me font mal ", mais qu’il doit plutôt remarquer " Une sensation douloureuse s’élève (au niveau des jambes).

En fait, comment pourrait-il y avoir un quelconque " Je " qui a mal aux jambes ?

Si on remarque " J’ai mal ", on identifie le " Je " à la souffrance. Si on constate " Mes jambes me font mal ", on fait de la souffrance une partie du " Je ", et nous ne sortons pas des 62 vues erronées mentionnées ci-dessus.

La conscience mentale doit parvenir à reconnaître clairement que les manifestations sont le jeu des 5 agrégats, libre de toute instance directrice. Contemplons la pluie pour illustrer cette notion d’absence de maître. Qu’est-ce que la pluie ? C’est un phénomène naturel : des gouttes d’eau tombent du ciel. L’eau des lacs et des rivières s’évapore au soleil pour former des nuages. Lorsque la température et la pression atmosphérique changent, les nuages se condensent en pluie. Tombant sur terre, ces gouttes d’eau retournent aux lacs et aux rivières. L’eau s’évaporera à nouveau par temps chaud, et le cycle recommence. La pluie n’est donc qu’une petite partie de ce processus cyclique.

Personne ne fait la pluie. La pluie est un phénomène qui se produit sans que personne ne le commande, ne le dirige. De la même manière, lorsque vous marchez, ne postulez pas un " Je " qui marche, il n’y a que la marche, ou plus exactement, un corps qui marche. Ce processus de déplacement n’a pas de " maître ", il a lieu comme la pluie tombe. Il y a mouvement, mais personne qui se déplace. Pourquoi ? Une pensée s’élève dans l’esprit : marcher. Cette pensée agit sur le corps qui se met en mouvement. Il y a déplacement, évolution par l’action combinée du corps et de l’esprit, c’est tout. Cet évènement a lieu " sans maître ".

Pourtant, à cause de l’ignorance, de l’attachement au " Je ", le manas, associé à la conscience mentale, épingle un maître, le " Je ", à cet évènement " sans maître ", et constate " Je marche ".

Au sein même des 5 agrégats, nous retrouvons déjà l’attachement au " Je ", aussi, lorsque nous sommes confrontés au monde extérieur, c’est encore pire : il nous est alors impossible de ne pas utiliser le " je " pour nous nommer dans la conversation. Comment pourrions-nous échanger une communication en laissant tomber le mot " Je ", comment identifier l’interlocuteur ? Le moment est donc venu de définir clairement les deux sortes de " Je " :

1. Un " Je " qui semble exister de façon isolée, intrinsèque, indépendante des causes et conditions extérieures, jouant le rôle d’instance coordinatrice dirigeant les 5 agrégats.

2. Un " Je " nominatif, conventionnel, fonctionnel, désignant les 5 agrégats, qui permet à un individu de se définir, de se distinguer, de se présenter en société, dans un groupe.

C’est une convention tout à fait nécessaire dans le cadre de la vie de tous les jours, et ce " Je " désigné appartient au domaine de la Vérité Relative.

Nous confondons d’habitude ces deux " Je " par manque d’attention à la nature du " Je " que nous utilisons, à son mode d’existence, à ses différents aspects. De ces deux " Je ", le premier, qui semble exister de façon intrinsèque et indépendante, est une vue erronée qu’il faut absolument éliminer, car il n’a en fait jamais existé et n’existera jamais. Quant au " Je " conventionnel appartenant à la vérité relative, il est inoffensif pour celui qui a assimilé le Non-Soi. Après avoir atteint l’Eveil, les Arhats et les Bodhisattvas continuent d’utiliser le mot " je " pour se désigner et converser avec les autres, mais au fond d’eux, il n’y a plus la moindre trace d’attachement à un " je " existant indépendamment.

Cependant, bien que le " Je " conventionnel ne soit pas par lui-même une vue fausse, celui qui l’utilise sans avoir compris profondément le Non-Soi renforce inconsciemment - chaque fois qu’il prononce "Je marche, je travaille, je parle, ..." - un attachement au " Je " qui grandit et s’épaissit depuis la nuit des temps.

 

4. Existence ou Vacuité

La plupart de ceux qui chérissent la Prajnaparamita préfèrent pratiquer la vacuité et parlent rarement de l’existence qu’ils considèrent comme une vue fausse, un tabou auquel il ne faut pas toucher sous peine de tomber sous l’emprise de l’attachement aux phénomènes propre au Theravada.

Pourtant, sans la vacuité, il ne pourrait y avoir d’existence. Bien qu’ils soient opposés, " Existence " et " Vacuité " sont des concepts complémentaires, semblables aux deux faces inséparables d’une pièce de monnaie.

Avant de parler de la relation qui les unit, nous devrions définir le sens et le statut de chacun de ces deux termes, tout comme lorsque nous avons abordé le Non-Soi, il nous a fallu définir les notions de " Soi ", " Je " et " d’attachement au Je ". Ainsi, qu’est-ce que " l’existence " ?

Qu’est-ce que la " vacuité " ? S’il y a existence, qu’est-ce qui existe ? S’il y a vacuité, il y a " vide " de quoi ?

Un même mot peut avoir des significations différentes suivant qu’on l’utilise dans le contexte bouddhiste ou dans la vie courante. Lorsque nous parlons du Dharma, nous devons tout particulièrement déterminer si nous nous situons sur le plan de la Vérité Absolue (paramârtha) ou de la Vérité Relative (samvrti), de la nature propre (svabhâva) ou de l’apparence (lakshana).

Bien sûr, nature propre et apparence sont indissociables, pourtant confondre les deux peut être très gênant.

Le terme utilisé en vietnamien pour traduire " existence " est " co ". Dans l’usage courant, ce mot a trois significations. La première équivaut à l’affirmation, à " oui ". Par son second sens, il correspond au verbe " avoir, posséder ". Enfin, " co " signifie " exister ".

Quant au terme qui traduit la " vacuité ", il s’agit du mot " không ", qui s’oppose à " co " en tant que négation. Mais lorsque l’on affirme, qu’affirme-t’on ? Lorsque l’on nie, que nie-t’on ?

L’utilisation d’une affirmation ou d’une négation exige la présence d’un complément pour que le sens soit complet. Bien sûr, dans l’usage courant, le complément est souvent omis parce que la signification est claire grâce au contexte.

Dans le Bouddhisme vietnamien, les soutras ont en général été traduit en sino-vietnamien et si l’on ne suit pas la grammaire vietnamienne, il peut y avoir confusion, comme c’est le cas pour la traduction du Soutra du Coeur.

" La forme est le vide, le vide est la forme "

" La table existe-t’elle ou n’existe-t’elle pas ? " La table existe et n’existe pas ! Qui peut comprendre un tel langage ! En fait les deux termes " existe " et " n’existe pas " ne sont pas en rapport d’opposition affirmation/négation . Le premier terme " existe " affirme une chose, le second " n’existe pas " en nie une autre. Une anecdote peut illustrer notre propos. Lorsque Shen Hui (29) vint rendre visite au sixième Patriarche Zen Hui Neng, celui-ci dit :

" Je vois, mais aussi je ne vois pas "

Pour ensuite expliciter :

" Ce que je vois, ce sont mes propres fautes, ce que je ne vois pas, c’est le bien et le mal chez autrui. "

" Voir " et " ne pas voir " n’ont pas ici le même objet. De même, notre phrase " La table existe et n’existe pas " siginifie que la table existe en n’existant pas vraiment ! " Exister vraiment " a un sens courant, et un sens bouddhiste. Dans la vie courante, ce qui existe vraiment, c’est que nos yeux peuvent voir, nos oreilles entendre, nos mains toucher. Selon le Bouddhisme, " exister vraiment " signifie avoir une nature intrinsèque, une entité propre. Par exemple, si la table existe vraiment, qu’on la découpe en morceaux ou qu’on la brûle, elle restera une table, elle ne changera pas. Remontant les millénaires, nous ne trouvons personne qui l’ai fabriquée ou créée, par elle même, elle reste la table : c’est ce qui s’appelle exister vraiment. Mais en réalité, si nous la découpons en morceaux, si nous la brûlons, elle cessera d’exister en tant que table, et c’est la raison pour laquelle, du point de vue bouddhiste, cette table n’existe pas vraiment, ou formulé autrement, elle est vide de nature propre.

" La table existe sans exister vraiment " est une autre façon de dire que la table n’a pas de nature propre.

La table existe, il n’y a pas à le nier, elle est le résultat de la réunion de diverses causes comme le bois, les clous, la scie, le marteau, etc ... Elle ne peut pourtant exister indépendemment, du fait même qu’elle est le fruit de la rencontre de ces différents facteurs : c’est ce qui s’appelle vide de nature propre.

" Exister " et " Ne pas exister " ne s’opposent donc pas ici directement, leurs sujets diffèrent. Le premier terme affirme l’existence d’une chose, le second nie l’existence d’une autre chose.

Pour éviter toute confusion, nous pourrions remplacer le premier par le verbe " apparaître ". Ce verbe est explicité de façon intéressante par l’un des 10 exemples classiques qui illustrent la Vacuité dans le Mahaprajnaparamita Sutra, à savoir l’exemple du mirage. Assoiffé, vous marchez dans le désert. Regardant dans le lointain, vous apercevez soudain une oasis. Tout heureux, vous courez vers elle, mais arrivé là où vous pensiez trouver un point d’ eau, nulle oasis ! Vous aviez vu l’eau, pourtant lorsque vous la cherchez, vous ne la trouvez pas. L’oasis existe-t ’elle ou n’existe-t’elle pas ? Si vous affirmez qu’elle existe, comment se fait-il que vous ne la trouvez nulle part lorsque vous la cherchez ? Si vous dites qu’elle n’existe pas, comment expliquez-vous que vous l’ayez vue de vos yeux ? Comment répondre ?

Il y a deux manières :

1. Elle existe tout en n’existant pas.
2. Elle n’existe pas tout en n’ayant pas de non-existence.

Ces deux réponses reviennent au même. Cependant, ces deux formulations sont un peu trop " Zen " et mieux vaut ne pas les utiliser. Non seulement nous ne comprenons souvent pas nous mêmes, mais en plus nous induisons les autres en erreur. Si personne ne comprends de quoi il s’agit, à quoi bon parler ? Il est donc préférable en définitive de répondre d’une façon sans doute plus longue, mais aussi plus complète que le point d’eau apparaît sans exister réellement - ce qui correspond à la première partie du vers du Soutra du Coeur " La Forme est Vacuité "-

mais bien qu’il n’ait pas d’existence réelle, il apparaît quand même - ce qui équivaut à la seconde branche du vers précité " La Vacuité n’est autre que la Forme ".

Du point de vue de la Vérité Absolue, les phénomènes n’ont pas d’existence réelle, ils sont dépourvus de nature propre, ils sont insaisissables, et donc ils ne naissent ni ne meurent. Ils sont Vacuité. Cependant, la vérité absolue n’est pas séparée de la vérité relative. Bien qu’ils n’aient ni existence réelle ni nature propre, les phénomènes apparaissent et se manifestent en fonction des interdépendances karmiques.

Qu’est-ce que l’absolu ? Qu’est-ce que le relatif ? Lorsqu’après une quête intensive, une investigation poussée jusqu’au point ultime, nous arrivons à percevoir quelque chose, ce quelque chose est considéré comme ultime. Prenons un exemple : nous cherchons un point d’eau dans le désert et nous ne le trouvons nulle part. Ne rien trouver est une vision absolue et ultime.

Dans la vie courante, nous n’avons pas besoin de chercher, de contempler pour voir, cette vision est relative et correspondrait à la vue du point d’eau dans le désert.

La vue relative est acceptée facilement par tout le monde. Constater que le feu est chaud, que l’eau est froide, distinguer les hommes, les femmes, les maisons, etc... ne nécessite aucune pratique spirituelle et c’est pourquoi on appelle cette façon de voir la Vérité Relative ou Conventionnelle. La vue ultime est la vue de celui qui s’est engagé dans la pratique spirituelle, qui a consacré beaucoup de temps à la méditation pour enfin percevoir cette vérité qui a le pouvoir de conduire à la Libération, d’où son nom de Vérité Ultime (paramartha).

Le Non-Soi, c’est-à-dire la non-existence d’un " Je ", d’une nature propre, appartient à la Vérité Absolue, quant au " Je " conventionnel, il fait partie de la Vérité Conventionnelle (samvrti).

 

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METHODE DE PRATIQUE

 

Bien qu’il y ait de nombreuses méthodes dont la pratique vise à réaliser le Non-Soi, je n’en présenterai que deux dans le cadre de ce livre : l’une utilise la réflexion analytique en suivant la dialectique de l'école du Milieu (Madhymika), la seconde applique les Quatres Fondements de l’Attention.

 

1. Selon l'école du Milieu

La technique de méditation que je vous présente ici est largement utilisée ches les Gelougpas, l’une des principales écoles du Bouddhisme tibétain (30) , et il s’agit de contempler quatres sujets, ou quatres étapes.

Avant de commencer une pratique, quelle qu’elle soit, nous devons développer la Bodhicitta, c’est-à-dire l’aspiration à devenir un Bouddha pour pouvoir sauver les êtres sensibles.

Au cours des millénaires, tous les êtres sensibles ont un jour été notre père ou notre mère. Aveuglés par l’ignorance, ils errent encore dans le cycle des renaissances. Ensuite, nous pensons et rendons hommage aux Bouddhas, aux Bodhisattvas et à tous les maîtres et patriarches qui nous ont enseigné la voie, directement ou indirectement, et nous les prions de nous accorder leurs bénédictions pour que nous puissions rapidement réaliser l’Eveil.

De même, après n’importe quelle pratique, nous ne devons pas oublier d’en dédier le mérite à notre réalisation de l’état de Bouddha et au bonheur des êtres en souhaitant qu’ils demeurent dans la paix, la joie, et qu’ils atteignent rapidement la rive de l’Eveil.

Les quatres étapes de la méditation sont :

1. Appréhender clairement l’objet à réfuter,
2. Le déterminer,
3. Il n’est pas un,
4. Il n’est pas différent.

1. Appréhender clairement l’objet à réfuter

L’objet à réfuter ici n’est autre que le " Je " ayant une existence intrinsèque, une nature propre. Rappelons qu’il y a deux sortes de " Je " :

1. Un " Je " qui semble réel, qui semble avoir une existence intrinsèque, ne dépendre ni des lois karmiques, ni des cinq agrégats, et diriger le corps et l’esprit. Ce " Je " là est une vue fausse, une création de l’ignorance, et c’est donc notre objet de réfutation. Ce " Je " n’a jamais eu la moindre existence réelle, pourtant c’est en s’agrippant à ce mirage que les êtres créent toutes leurs souffrances.

2. Un " Je " conventionnel, désignant la combinaison des 5 agrégats, fort utile pour différencier et identifier les individus au sein d’un groupe.

Lorsque le premier " Je " est compris et réfuté, le second " Je " ne présente plus le moindre danger.
 
Nous devrions également définir le terme " réfuter ". Si nous réfutons, si nous nions l’existence d’un objet réel, nous tombons dans le nihilisme. Dans le cas du " Je " intrinsèque, celui-ci n’a jamais eu d’existence réelle et c’est à cause de leur ignorance que les êtres croient qu’il existe vraiment. Réfuter ce " Je " intrinsèque n’équivaut pas à refuser la réalité, mais au contraire à rejeter une vue erronée. Réfuter ce " Je " là , c’est comprendre le Non-Soi. Le Non-Soi signifie qu’un " Je " possédant une existence indépendante n’existe pas. Cependant, avant de pouvoir réfuter ce " Je ", nous devons comprendre clairement quand et de quelle manière il apparait, sans quoi nous essayerions d’attraper un voleur sans savoir à quoi il ressemble !

Lorsque vous allez faire des courses, vous dites " Je vais faire des courses ". Ce " Je " que vous venez d’utiliser, à quelle catégorie appartient-il ? Il s’agit d’un " Je " conventionnel, car il y a bien un corps qui se rend au marché. Le " Je " est dans ce cas assimilé au corps dont il dépend. De ce fait, ce " Je " n’est pas notre objet de réfutation. Essayons de déterminer quand le " Je " apparait ou se manifeste isolé, sans rapport avec le corps ou l’esprit. Ceci se produit lorsque vous vous sentez injustement accusé, insulté, ou que vous êtes sous l’emprise d’une émotion, du plaisir. Si par exemple quelqu’un vous insulte, vous vous sentez mal à l’aise et irrité : " Pourquoi m’insulte-t’il ? " Si vous y prêtez attention, vous constaterez qu’à ce moment là, un " Je " semble clairement exister indépendemment du corps et de l’esprit. C’est ce " Je " qui est insulté, qui est attaqué, et non le corps ou l’esprit. L’autre n’insulte pas mon corps, il n’insulte pas plus mon esprit, c’est " moi " qu’il insulte ! Ce " moi " n’est autre que l e " Je " intrinsèque que nous devons réfuter, car il n’est rien d’autre qu’une illusion de l’esprit.

Souvent, lorsque vous rentrez fatigué du travail, vous vous dites : " Je dois me reposer pour détendre mon corps et mon esprit ". Voyez-vous les trois éléments que contient cette phrase ? Il y a un " Je " qui joue un rôle actif, ainsi qu’un corps et un esprit subordonnés à ce " Je " et dirigés par lui. Ce " Je " qui semble avoir une existence intrinsèque doit être réfuté.

Ces deux exemples simples nous permettent de mieux comprendre ce qu’est le " Je " intrinsèque,existant, indépendant.

Au cours de cette première phase, aiguisez votre attention pour noter l’apparition et la manifestation de ce " Je " intrinsèque dans votre vie quotidienne. Lorsque noter l’apparition du Je intrinsèque vous sera devenu familier, vous pourrez consacrer vos scéances de méditation pour le contempler. Au début de la scéance de méditation, suivez votre respiration pour calmer votre esprit. Ce n’est que lorsque vous avez atteint cet état de calme que vous pouvez " extirper " ce " Je ", faisant en sorte qu’il se manifeste pour pouvoir le contempler (en pensant par exemple à des occasions de tristesse, de colère, d’amour, de haine en rapport avec ce " Je "). Manoeuvrez cependant avec délicatesse, car l’entreprise n’est pas facile. Si votre concentration est trop intense, si vous suivez votre respiration avec toute votre attention et demeurez dans un état de grande sérénité, vous n’aurez pas envie de déclencher la moindre pensée et vous ne pourrez donc pas amener le " Je " sur le devant de la scène. Par contre, si votre concentration est insuffisante, susciter l’apparition du " Je " sera prématuré, car c’est lui qui risque de vous entraîner et de vous faire son cinéma, vous faisant rire ou pleurer des scènes de votre vie ! Vous pouvez dès lors dire au revoir à votre scéance de méditation !

2. Déterminer l’objet

Dans la première étape, vous découvrez un Je qui semble exister de manière inhérente, de son propre côté. Dans la deuxième étape, vous allez essayer de le cerner. Si le Je existe de la façon dont il apparait, il sera forcément soit un avec l'esprit et le corps (ou les 5 agrégats), soit différent d'eux. Si le Je est un avec l'esprit, il s'ensuit que, cherchant à cerner l'esprit, vous trouverez du même coup le Je. Si le Je étant un avec le corps, lorsque vous désignez le corps, vous montrez également le Je. Par contre, si le Je était une entité séparée du corps et de l'esprit, vous seriez alors en mesure de montrer l'esprit et le corps "ici" et le Je "là-bas".

Prenons un exemple. Vous rencontrez en rue un policier qui vous demande vos papiers. Vous allez chercher vos papiers dans l’une des poches de votre veste. Votre veste a deux poches : une à droite, une à gauche. Si vos papiers sont dans votre veste, ils doivent nécessairement se trouver soit dans la poche droite, soit dans la poche gauche. Ils ne peuvent se trouver à la fois dans l’une et dans l’autre. Si vous ne les trouvez pas dans la poche droite, ils se trouvent certainement dans la poche gauche. S’ils ne se trouvent pas dans la poche gauche, c’est qu’ils ne se trouvent pas dans votre veste.

Revenons à notre " Je " indépendant, intrinsèque. Là où nous trouvons la réunion des 5 agrégats, il nous semble y avoir un " Je ". S’il existe vraiment, il ne peut être qu’un avec les agrégats ou différent d'eux. Vous devez admettre, déterminer qu’il ne peut tomber que dans l’un ou l’autre de ces deux cas, il n’y a pas de troisième alternative. Il ne peut pas à la fois être les 5 agrégats et être différent d’eux. S’il n’est ni un ni multiple, vous devrez en déduire qu’il n’a pas de réalité, qu’il n’existe pas.

3. Il n’est pas Un

Si le " Je " intrinsèque se confond avec les 5 agrégats, deux cas peuvent se présenter :

1. soit il se confond avec tous les 5 agrégats pris dans leur ensemble.

Le " Je " est un. Les 5 agrégats sont multiples, car la forme n’est pas la sensation, la sensation est distincte de la perception, la perception est distincte des formations mentales et les formations mentales ne sont pas la conscience. Une unité ne peut être une pluralité, ce serait une absurdité. Si le " Je " se confond avec les 5 agrégats, ceux-ci doivent être une seule et même chose, ce qui implique qu’il n’y aurait pas de différence entre la forme, la sensation, la perception, les formations mentales et la conscience. Mais si la forme ne diffère pas des formations mentales, cela voudrait dire qu’une main pourrait penser. Si la forme se confond avec les perceptions, un orteil pourrait voir un paysage !

2. soit il se confond avec chacun des 5 agrégats pris séparément.

Si la forme est le " Je ", que sont donc les 4 autres agrégats ? Si le " Je " peut être identifié au corps, il ne peut en même temps être l’esprit. Souvenez-vous de l’exemple des papiers d’identité et des deux poches. Rappelons encore que le " Je " dont il est question ici n’est pas le " Je " conventionnel, mais le " Je " qui semble avoir une existence intrinsèque, indépendante. " Intrinsèque " signifie qu’il ne dépend pas des connexions karmiques, qu’il existe seul, comme une entité homogène. Mais une entité homogène ne peut à la fois être une chose et une autre.

Certains d’entre nous pensent que l’esprit est le " Je ". Mais dans ce cas, qu’est donc le corps ? Si le " Je " est l’esprit, il ne peut en même temps être le corps, mais s’il est différent du corps, pourquoi disons-nous " J’ai mal au pied " lorsque nous marchons sur un clou ? C’est la deuxième absurdité.

D’autres pensent que le " Je " est à chercher au sein des 5 agrégats entre lesquels il circule. Si vous vous trouvez dans une maison à 5 pièces, je vous accorde que vous pouvez allez et venir d’une pièce à l’autre, mais vous devez pouvoir voir ce qu’il y a dans chaque pièce. Donc, si le " Je " se trouve dans les 5 agrégats et qu’il passe de l’un à l’autre, le " Je " doit pouvoir également voir le coeur, le foie, les poumons, etc ... ce qui est un nouveau non-sens.

Par ailleurs, si vous êtes d’avis que le " Je " est identifiable aux 5 agrégats, qu’il est un avec le complexe physico-psychique, pourquoi dites-vous dans ce cas : " Mon corps ", ou " Mon esprit " ? Car ceci laisse sous-entendre que le corps, l’esprit et le " Je " sont distincts.

Enfin, dire que le " Je " correspond aux 5 agrégats, au corps et à l’esprit, implique que si le " Je " veut quelque chose, le corps et l’esprit doivent lui obéir. S’il en est ainsi, comment se fait-il qu’un ordre du " Je " ne parvienne pas à stopper un mal au ventre ?

Je n’ai énuméré ici que quelques exemples de la manière dont nous pouvons réfuter l’identité du " Je " intrinsèque et des 5 agrégats.

4. Il n’est pas différent

Précisons la définition du terme " différent ". " Différent " peut signifier deux choses :

1. distinct, qui ne ressemble pas à quelque chose qui sert de point de comparaison,

2. indépendant, séparé, qui ne fait pas partie de.

Par exemple, les pneus sont " différents " que la voiture, en ce sens qu’ils diffèrent du corps de la voiture, mais ils ne sont cependant pas séparés d’elle, les pneus et la voiture conservant un rapport étroit entre eux. Par contre, une rose et une voiture sont " différent " dans les deux sens du mot, à la fois distinctes et séparées.

Notre " Je " conventionnel est distinct des 5 agrégats, mais il n’en est pas séparé, car il n’est qu’une étiquette conventionnelle appliquée aux 5 agrégats. Ils ont entre eux des rapports étroits, tout comme les pneus et la voiture.
Quant au " Je " intrinsèque, il est " différent " dans les deux sens du terme, à la fois distinct et séparé.

Les termes " intrinsèque " ou " nature propre " sont très importants, car si nous ne les comprenons pas clairement, notre méditation risque de rester un simple jeu intellectuel .

Comme nous l’avons dit précédemment, avoir une nature propre signifie avoir une existence indépendante, exister en soi, sans dépendre d’aucun autre facteur, d’aucune cause ou conditions.

Si le " Je " intrinsèque est différent des 5 agrégats, cela veut dire qu’il n’y a aucune relation entre eux, que nous pouvons distinguer d’une part un " Je " intrinsèque, d’autre part les 5 agrégats, aussi clairement que nous pourrions distinguer une fleur d’un stylo.

Cependant, si vous le séparez des 5 agrégats, pouvez-vous indiquer où se trouve le " Je " ?

C’est impossible ! C’est pour cette raison que le " Je " et les 5 agrégats ne sont pas deux choses différentes.

Une table et vous sont deux choses différentes, de sorte que si l’on coupe la table à la hache, vous n’en souffrez pas. De même, si les 5 agrégats et le " Je " étaient deux choses différentes,

le " Je " ne devrait éprouver aucune douleur quand on vous tranche un pied. Mais qu’en est-il en réalité ?

Nous en arrivons à la conclusion que le " Je et les 5 agrégats ne sont pas deux choses distinctes. En dehors des 5 agrégats, nous ne pouvons trouver le " Je " nulle part.

Résumons les 4 étapes de notre méditation :

1. Identifier clairement ce qu’est le " Je " intrinsèque,

2. Arriver à la conclusion que si le " Je " existe, il ne peut logiquement qu’être identique aux 5 agrégats, ou en être distinct,

3. Cherchant le " Je " dans les 5 agrégats, nous ne l’y trouvons pas,

4. Cherchant le " Je " en dehors des 5 agrégats, nous ne l’y trouvons pas non plus.

Ayant ainsi cherché le " Je " en vain, demeurez dans cet état où vous ne le trouvez nulle part. Nous pouvons appeler cet état la " méditation du Non-Soi ". Si des pensées s’élèvent et viennent le perturber, vous devez reprendre la méditation depuis le début, c’est-à-dire recommencer à essayer de localiser le " Je ". Lorsque vous l’aurez cherché jusqu’à ne le trouver nulle part, demeurez à nouveau le plus longtemps possible dans cet état où vous " ne voyez pas le " Je " ". Ce n’est pas un état néant ou un vide complet, mais un état où l’on ne perçoit nulle part de " Je ". Plus longtemps vous parviendrez à rester dans cet état, plus votre attachement au " Je " intrinsèque s’amenuisera.

En dehors des sessions de méditation, que vous soyiez debout, assis, couché ou en mouvement, vous continuez de bénéficier des effets de la " Méditation du Non-soi ", qui vous permettra d’échapper à l’illusion de l’existence d’un " Je " intrinsèque et de comprendre clairement qu’il ne s’agit que d’un " Je " conventionnel.

Le point essentiel de cette méthode méditative est de comprendre parfaitement la différence entre les deux sortes de " Je " : le " Je " qui semble avoir une existence intrinsèque, et le " Je " conventionnel. Comprendre cette différence constitue la base même de cette méthode et c’est la condition requise pour qu’elle porte ses fruits.

Il faut aussi établir une distinction entre compréhension intellectuelle et réalisation. Comprendre le Non-Soi, avoir atteint la ferme conviction qu’il n’y a pas de " Je " intrinsèque ne signifie pas que l’on ait réalisé l’Eveil ni que l’on devienne un Arhat ou un Bodhisattva immédiatement. Cette compréhension n’est que le premier pas, et il faut continuer de méditer sans arrêt, jusqu’à ce que l’on soit imprégné du Non-Soi, et que quoi que l’on fasse, nous ne percevions de " Je " intrinsèque à aucun moment, que notre esprit demeure toujours dans l’état méditatif du Non-Soi. C’est alors seulement que l’on considère avoir réalisé et parfait le Non-Soi. Cette remarque est importante : parler du Dharma en théorie est facile, le mettre vraiment en pratique est autrement complexe !

Cette méthode de méditation selon l'école du Milieu est analytique et fait largement appel à l’intellect, au raisonnement. S’il vous semble manquer d’intelligence, vous pouvez adresser vos prières au Bodhisattva Manjoushri, qui est l’incarnation de la Grande Sagesse Transcendentale et qui enseigne aux Bouddhas des trois temps.

Les bouddhistes vietnamiens n’accordent pas une attention particulière à ce grand Bodhisattva, préférant tourner leurs prières vers le Bodhisattva de la compassion Avalokiteshvara pour qu’Il les sauve du malheur et de la souffrance. Mais sauver qui du malheur et de la souffrance ? Si nous y regardons de plus près, c’est la peur pour notre malheureux " Je " qui nous motive, la peur qu’il ne tombe malade, qu’il ne souffre, qu’il ne soit victime d’un accident ou de la malchance. Or si nous souffrons, c’est précisément parce que dans notre ignorance nous nous attachons à un " Je " et créons ainsi du karma négatif aux conséquences duquel nous ne pouvons échapper. Si nous possédions la sagesse, nous ne pourrions créer de mauvais karma et nous n’aurions pas à en subir les effets pénibles. Il est dit que " Les Bodhisattvas craignent la cause, les êtres sensibles craignent les effets ". Au lieu de cultiver la sagesse, les êtres dans leur aveuglement ne se soucient que de créer les causes de souffrances futures pour ensuite venir se lamenter et supplier qu’on les sauve !

Autrefois, dans toutes les écoles bouddhistes de l’Inde, du Tibet et de la Mongolie, avant que ne commence le cours, tous les moines étudiants rendaient hommage à Manjoushri et récitaient son mantra aux 7 syllabes en le priant qu’Il les aide à éliminer l’ignorance de l’attachement au " Je " et aux phénomènes, qu’Il leur accorde rapidement la Sagesse qui permet de comprendre la vraie nature de tous les phénomènes.

Vous aussi, si vous le souhaitez, vous pouvez, chaque matin après vous être lavé le visage et rincé la bouche, rendre hommage à Manjoushri et répéter son mantra 7, 21 ou 100 fois en priant qu’Il vous accorde la Sagesse, qu’il vous aide à comprendre clairement les enseignements et à vaincre l’ignorance.

Je rends hommage à Manjoushri,
Roi du Dharma
Maître de tous les Bouddhas
Accordez-moi la Sagesse,
Dissipez l’ignorance
Que j’atteigne rapidement l’Eveil
" Om A Ra Pa Tsa Na Dhi " (x 7, 21, 100)

Lorsque vous récitez pour la dernière fois le mantra " Om A Ra Pa Tsa Na Dhi ", répétez la syllabe " Dhi " autant de fois que possible en une expiration.

Avant d’étudier les Soutras, de méditer sur le Non-Soi ou la Vacuité, pensez chaque fois à Manjoushri et récitez ses louanges, et votre sagesse augmentera certainement.
 

2. Méthode des 4 Fondements de l’Attention

Cette méthode tire sa source du Satipatthâna Soutra , qui est le dixième soutra du recueil Majjhima Nikaya, et du Maha-Satipatthâna Soutra (33) , qui est le vingt-deuxième soutra du Digha Nikaya (34) . En outre, j’ai écrit voici 3 ans un livre intitulé " Thien Tu Niêm Xu " (35) qui présente et explique cette méthode de pratique. Je n’y ai cependant pas mentionné les Trois Sceaux du Dharma (Impermanence, Souffrance et Non-Soi), mais j’ai seulement insisté sur la manière de pratiquer l’attention (noter ce qui se passe de façon objective), dans l’intention d’encourager une pratique personnelle menant à la réalisation, ou la recherche d’un maître spirituel pour vous guider.

En parlant des Quatre Fondements de l’Attention, je vais cette fois insister sur les aspects de cette pratique qui ont plus spécifiquement trait au Non-Soi.

Que sont les Quatres Fondements de l’Attention ?

Il s’agit des quatres domaines qui constituent l’objet de la contemplation, qui sont : le corps, les sensations, l’esprit et les phénomènes. Contempler signifie ici observer attentivement et noter.

Observer attentivement le corps et ce qui s’y rattache, c’est l’attention au corps (kayanupassana).

Lorsque l’on observe attentivement et que l’on note les sensations, c’est ce que l’on appelle l’attention aux sensations (vedananupassana).

Observer attentivement et noter les états par lesquels passe l’esprit, c’est l’attention à l’esprit (cittanupassana).

Lorsque l’on observe attentivement et qu’on note les phénomènes qui constituent l’objet de l’esprit, cela s’appelle l’attention aux phénomènes (dhammanupassana).

L’essentiel ici est l’attention (sati) et la concentration (anupassana), et c’est pour cette raison que l’on parle dans ce contexte de vision pénétrante (vipassana). Comme cette vision doit être objective, elle est aussi appelée en pali " samma-sati ".

1. L’attention au corps

Le pratiquant prend conscience du corps au niveau même du corps. Cette observation attentive du corps comprend l’attention à la respiration, aux quatre stations (debout, couché, assis, en mouvement), aux activités habituelles (manger, s’habiller, etc...), aux organes du corps (coeur, foie, poumons, reins, intestins, ...), aux 4 éléments et aux neuf stades de décomposition d’un cadavre.

2. L’attention aux sensations

Le pratiquant prend conscience des sensations au niveau même des sensations, c’est-à-dire qu’il observe attentivement et note de manière objective les sensations qu’il éprouve : agréables, douloureuses, indifférentes, ainsi que la manière dont elles apparaissent et disparaissent. Par exemple, lorsqu’apparait une sensation agréable, le pratiquant en prend immédiatement conscience et constate : " il y a une sensation agréable ". De la même manière, le pratiquant prend conscience de toutes les autres sensations et les expérimente telles quelles d’ une conscience éveillée.

3. L’attention à l’esprit

Le pratiquant prend conscience de l’esprit au niveau même de l’esprit. Chaque fois qu’une pensée s’élève dans l’esprit, le pratiquant en prend immédiatement conscience et le remarque. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises peu importe, le pratiquant observe, suit et regarde les pensées sans jugement appréciatif ou désaprobateur.

4. L’attention aux phénomènes

Le pratiquant observe l’objet de la conscience au niveau même de l’objet de la conscience. L’objet de la conscience comprend ici :

- Les 5 obstacles que sont : le désir-attachement, la haine-colère, la léthargie, l’excitabilité et le doute.

- Les 5 agrégats qui sont : forme, sensation, perception, formations mentales et conscience.

- Les 6 organes des sens et leurs objets respectifs : yeux - formes, oreilles - sons, nez - odeurs, langue - saveurs, toucher - objets, esprit - pensées.

- Les 7 facteurs de l’Eveil : attention, foi, énergie, joie, tranquilité, recueillement, équanimité.

- Les 4 Nobles Vérités : souffrance, origine de la souffrance, cessation de la souffrance, voie qui mène à l’extinction de la souffrance.

Insistons sur la nécessité de pratiquer les Quatre Fondements de l’Attention de manière objective, ce qui veut dire que le pratiquant se contente d’observer de façon neutre, sans se laisser emporter par ce qu’il observe, sans avoir l’impression qu’un rapport existe entre lui et ce qu’il observe.

Ceci n’est qu’un bref résumé des soutras. En ce qui concerne la pratique proprement dite, je conseille le lecteur de se référer à mon livre précédent, " La Méditation des Quatre Fondements de l’Attention ".

 

Les Quatre Fondements de l’Attention et le Non-Soi
 
Pratiquer les Quatre Fondements de l’Attention de manière correcte, assidue et continue conduira certainement à la réalisation des 3 Sceaux du Dharma, c’est-à-dire à réaliser que la nature des 5 agrégats est impermanence, souffrance et absence de Soi.

D’après mon expérience, celui qui pratique cette méthode doit connaître les notions de base du Bouddhisme ou être guidé directement par un maître Zen pour que sa pratique porte rapidement ses fruits. Avant de choisir une pratique particulière, nous devons savoir quels résultats elle est sensée apporter. Une méthode n’est jamais qu’un moyen pour atteindre un but. Si nous voulons comprendre et réaliser le Non-Soi, les Quatre Fondements de l’Attention sont un excellent moyen qui participe à la réalisation subite (éveil direct) et qui aide le pratiquant à percevoir directement le caractère impermanent et " sans maître " (non dirigé) des 5 agrégats, sans qu’il ait besoin de faire appel à l’intellect.

1. L’attention au corps

Lorsqu’il marche, le pratiquant constate : " Marche! Il y a déplacement ! ou Les jambes marchent ! " Au début, il se peut que vous n’y prêtiez pas attention, mais après un certain temps, vous remarquerez que cette constatation vous fait réaliser que la mouvement est bien une réalité, mais que dans ce mouvement, il n’y a pas quelqu’un qui est en train de marcher ! Il n’y a pas un " Je " qui marche ! Pourquoi ? Parce que c’est une action " sans maître ", c’est le mouvement coordonné du corps et de l’esprit. Si vous faites bien attention, vous remarquerez que ce déplacement commence par une idée : " vouloir marcher " qui agit sur le corps provoquant le mouvement des pieds qui se déplacent. Le jeu combiné du corps et de l’esprit créent la marche, d’où le caractère " sans maître " de celle-ci : il n’y a pas de " Je " qui marche.

2. L’attention à la sensation

Lorsque vous restez longtemps assis en posture de méditation, vous pouvez ressentir soudain une douleur dans les jambes. Ne pensez pas " J’ai mal aux jambes " ou " Mes jambes me font souffrir ". Pourquoi ? Parce qu’en réalité, il n’y a pas le moindre " Je " qui ait mal aux jambes, pas plus qu’il n’y a de jambes qui appartiennent au " Je " ! Il n’y a qu’une sensation de douleur qui s'élève au niveau des jambes, et cette sensation va passer par quatre étapes : naissance, croissance, déclin et disparition. Si vous avez déjà quelques notions des 62 vues fausses concernant le " Je ", vous saurez que l’une comme l’autre des deux pensées mentionnées ci-dessus sont des absurdités. " Si Je n’ai pas mal aux jambes, qui a mal aux jambes ? " Personne. Il n’y a qu’une sensation de douleur qui apparait, et un esprit, une conscience qui constate cette sensation, c’est tout.

3. L’attention à l’esprit

Si au cours de la méditation une pensée de désir sexuel s’élève, vous devez être attentif et le constater aussitôt : " Il y a une pensée de désir sexuel  ", ou " Voici une pensée de désir sexuel". En ayant pris conscience, vous devez rester attentif pour voir si cette pensée continue ou si elle a déjà disparu. Si elle continue, notez son évolution. Tout au long de votre observation, il n’y a pas le moindre " Je " qui désire, il n’y a absolument personne qui désire.Ce n’est simplement qu’une pensée de désir sexuel qui s’élève dans l’esprit, c’est tout.

Grâce à cette compréhension, vous n’éprouverez ni irritation ni honte, et vous échapperez facilement à l’emprise du désir sexuel, sans avoir à le réprimer ou à vous tourmenter.

Ceux qui n’ont jamais pratiqué la vision pénétrante ou qui n’ont jamais appris à observer attentivement le mouvement des pensées, ne se rendent pas compte de l’apparition d’une pensée de désir sexuel, et cette inconscience permet à cette pensée de croître et de les entraîner.

Si par malheur la présence d’un objet extérieur excitant vient la renforcer, comme par exemple la présence d’une jolie femme, cette pensée risque de s’extérioriser et de conduire à l’acte - à moins qu’elle ne rencontre un obstacle ou une circonstance extérieure qui l’interrompe.

Le désir sexuel est le plus grand obstacle du pratiquant qui veut atteindre l’Eveil. Celui qui en possède la volonté doit méditer sur le Non-Soi avec assiduité ainsi que l’impureté du corps humain afin d’échapper à l’emprise du désir-attachement.

Que tous ceux qui se complaisent dans les plaisirs charnels y regardent de plus près : l’union d’un homme et d’une femme que le commun des mortels considère comme l’expression même de l’amour n’est rien que le contact entre deux corps " sans maître " qui provoque l’apparition d’une sensation " sans maître ".

Une barre de fer incandescente plongée dans l’ eau émet un sifflement. Ce bruit appartient-il à l’eau ou à la barre de fer ?

Deux silex qui s’entrechoquent violemment produisent une étincelle. A laquelle de ces deux pierres appartient l’étincelle ?

De même, les êtres plongés dans l’ignorance, ne comprenant pas que les phénomènes sont dépourvus d’un Soi ou d’une instance directrice, croient en l’existence d’un " Je " qui fait l’amour, que le corps est ce " Je ", et que la sensation de jouissance est le " Je ", ou appartient au " Je ", de sorte qu’ils poursuivent sans cesse la recherche du plaisir physique pour satisfaire un malheureux " Je " qui n’a jamais existé !

4. L’attention aux Phénomènes

La section du Satipatthâna Soutra qui traite de l’attention aux phénomènes énumère 5 thèmes de méditation, mais ici, je ne mentionnerai que quelques exemples concrets qui ont trait au Non-Soi.

Si vous êtes assis en méditation et que surgit un bruit extérieur, comme par exemple le bruit d’une voiture, constatez attentivement " entendre, entendre, entendre " (en vous appuyant sur l’organe, l’oreille) ou " il y a un bruit " (en vous appuyant sur l’objet, le son).

En dehors des scéances de méditation, si vous êtes par exemple insulté, constatez de même " entendre, entendre, entendre ", ou " il y a insulte ". En fait, il ne faudrait pas constater " Il y a insulte ", car une telle remarque ne fait pas preuve d’objectivité. Mais si vous comprenez bien le Non-Soi et que vous en pratiquiez régulièrement la méditation, une telle remarque est inoffensive. De plus, qu’on le veuille ou non, la conscience humaine fonctionne sans jamais s’arrêter, sauf dans le sommeil profond, l’évanouissement, etc .... C’est pourquoi il n’est pas possible d’ignorer qu’il s’agit d’une insulte quand on nous en lance une !

Il y a certes insulte, mais il n’y a pas de coupable. Personne n’insulte personne ! Si vous posez un regard objectif sur la situation, vous constaterez qu’il y a de l’autre côté une pensée de colère qui s’élève, agit sur le corps, s’allie au souffle, au ventre, aux cordes vocales, à la bouche, à la langue, etc ... pour donner naissance à la voix, ou plus exactement à une suite de sons. De ce côté-ci, l’oreille perçoit un son (perception auditive), identifie clairement le sens de chaque son (conscience auditive) et reconnait finalement qu’il s’agit d’une insulte (conscience).

Je ne donne ici qu’un aperçu général, mais à la longue, avec la pratique, vous verrez que ce que l’on appelle une insulte n’est qu’une suite de causes et d’effets qui apparaît " sans maître ". Il s’agit ici de distinguer chacun des constituants de cette chaîne karmique. Pour y arriver, vous devez méditer le Non-Soi et pratiquer l’attention juste, c’est-à-dire observer attentivement et noter les quatre domaines que nous venons de passer en revue.

Une pratique correcte des Quatre Fondements de l’Attention vous donnera une vision objective des choses. Ne considérant plus votre corps comme étant le " Je ", vous n’aurez plus tendance à le chérir et à vous y attacher. Ne prenant plus les sensations pour le " Je ", vous ne poursuivrez plus le plaisir ni ne chasserez les sensations pénibles. Ayant abandonné la conception erronée de prendre vos pensées et vos réflexions pour le " Je ", vous serez libéré du désir, de la colère, de la stupidité, de la joie, de la tristesse, du regret et de la honte.

Ne considérant plus que les phénomènes appartiennent au " Je ", vous ne créez plus de karma négatif, vous êtes libre d’attachement, vous ne prenez ni ne rejetez rien.

En résumé, le pratiquant peut vivre de façon indépendante, sans plus s’accrocher à quoi que ce soit en ce monde, grâce à son détachement du " Je " et de ce qui lui appartient.

Lorsque la méditation du Non-Soi vous est devenue tout-à-fait familière, vous pouvez utiliser un " truc  " : chaque fois qu’apparait une émotion perturbatrice, le désir ou l’ignorance, utilisez le petit mot " qui ? " comme rappel.

 

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L'IMPORTANCE DU NON-SOI

 

Jusqu'ici le lecteur doit être parfaitement conscient de l’importance du Non-Soi. Le Non-Soi est la base, le fondement de toutes les autres pratiques bouddhistes.

* Si l’on pratique la Voie sans comprendre le Non-Soi, nous pourrons certes construire de grands monastères et de hautes statues, mais même si nous ne l’exprimons pas ouvertement, nous ne manquerons pas de penser que c’est nous (notre " Je ") qui les avons érigées, que c’est à nous (à notre " Je ") qu’elles appartiennent. Et ainsi, plus le monastère sera grand, plus vaste sera notre " Je ", plus s’éloignera de nous la libération !

* Si nous ne comprenons pas le Non-Soi, les préceptes que nous respectons deviendront des contraintes, des interdictions susceptibles d’irriter notre " Je " qui se sentira mal à l’aise et comme persécuté, de sorte que si notre vigilance n’est pas assez forte, nous finirons par les enfreindre.

* Même si nous pratiquons la méditation jour et nuit, même si notre concentration intense nous permet d’obtenir des pouvoirs supra-normaux, si nous ne comprenons pas le Non-Soi, nous ne différons pas des sorciers ou magiciens hérétiques.

* Lorsque nous comprenons le Non-Soi, nous ne recherchons plus les défauts d’autrui, nous ne les traitons plus d’égoïstes. Confrontés à un obstacle ou à une situation conflictuelle, nous ne rejetons plus la faute sur personne, car nous savons qu’il n’y a pas de " coupable ".

* Lorsque nous comprenons le Non-Soi, nous pratiquons de bonnes actions, comme par exemple la générosité, sans concevoir un " Je " qui donne, mais en voyant simplement le don. C’est cela qu’on appelle la pâramitâ du don, ou la générosité transcendentale.

* Si nous comprenons le Non-Soi, nous observerons naturellement les préceptes, car " personne " ne subit contraintes ou interdits.

* La compréhension du Non-Soi nous permettra de comprendre ce que sont les quatre attachements aux apparences mentionnées dans le Vajraccedika Soutra - à savoir le " Je ", Autrui, les Etres sensibles et le Bénéficiaire - et de nous en détacher.

* Pratiquer et comprendre le Non-Soi nous permet de ne plus être trompé par le flot des pensées perturbatrices. Lorsque des pensées bonnes ou mauvaises s’élèvent dans notre esprit, nous reconnaissons clairement que ce ne sont que des pensées qui se manifestent sans qu’il y ait le moindre " Je " qui soit bon ou mauvais.

Tous ceux qui s’engagent sur la Voie Bouddhiste doivent absolument comprendre la vue juste que constitue le Non-Soi. Bien sûr, cette compréhension n’est que la base, le premier pas. Nous devons continuer d’accumuler mérites et sagesse, en oeuvrant pour le bien d’autrui, en pratiquant la générosité, en étudiant auprès de maîtres qualifiés et d’amis vertueux, en diminuant nos activités mondaines pour accorder plus de temps à l’introspection méditative.

 

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CONCLUSION

 

Ce livre n’est pas un commentaire succint du Non-Soi. Son objectif est simplement de présenter au lecteur deux méthodes de pratique du Non-Soi, c’est pourquoi je n’ai pas cité de nombreux extraits de Soutras. Si vous souhaitez approfondir le sujet au niveau théorique, je vous renvoie aux ouvrages repris dans la bibliographie.

Bien que j’ai eu la chance d’étudier auprès de grands maîtres, je suis d’un tempérament lent et étourdi, aussi je suis sûr que ce livre n’est pas exempt d’erreurs et d’omissions. Puissent les vertueux érudits me le pardonner dans leur grande compassion.

Le peu qui soit conforme au Dharma, qui soit bénéfique au lecteur, j’en dédie le mérite à tous les êtres. Puissent-ils vivre dans la compréhension, la tolérance et l’amour inconditionnel, puissent-ils se libérer de tout attachement au Soi et de toute haine.

 

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SUR L'AUTEUR

 

Thich Tri Siêu (Hoang Quoc Bao) est né en 1962 à Saigon (Vietnam). Il est entré en 1985 au monastère bouddhique Linh-Son à Joinville-le-Pont, Paris. En 1987, il a reçu l’ordination complète de moine (bhikshu) du très Vénérable Thich Huyên-Vi.

Bien qu’ayant reçu au départ une formation monastique mahayaniste, il s’est intéressé en plus à d’autres traditions en suivant les enseignements et pratiques des maîtres Zen, Théravada et Vajrayana.

En vue de partager ses connaissances, il a écrit et traduit:

  • Thiên Tu Niêm Xu (Méditation des 4 Fondements de l'attention)

  • Bô Thi Ba La Mât (Paramita du Don)

  • Dai Thu An (Le Mahamudra)

  • Vô Nga (Recherche du Je)

  • Bô Tat Hanh (Bodhicaryavatara)

  • Xin Cuu Dô Me Dât (Sauvez la Mère Terre)

  • Dao Gi ? ( Quelle voie Bouddiste ?)

  • Gop Nhat (Ramassant les feulles d'été)

  • Y Tinh Than (Mental, sentiments, et corps)

 

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BIBLIOGRAPHIE

 

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*Abhidharmasamuccaya d'Asanga. Ecole française d'extrême orient 1980

 

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NOTES

 

(1) - Nikayas aussi appelés Agamas = recueil de soutras appartenant au canon pâli qui regroupe :

1. Dîgha Nikâya ou Dighagama (Truong A Hàm)
2. Majjhima Nikâya ou Madhyamagama (Trung A Hàm)
3. Samyutta Nikâya ou Samyuktâgama (Tang Nhat A Ham)
4. Anguttara Nikâya ou Ekottaragama (Tap A Hàm)
5. Khuddhakanikaya (Tiêu A Hàm)

(2) - Arhat : Idéal du Bouddhisme Theravada ou Véhicule des Auditeurs, dont c’est le stade ultime, les quatres stades étant :

1. Srotapanna (entrée dans le courant)
2. Sakradagamin (qui ne revient qu’une fois)
3. Anagamin (sans retour)
4. Arhat (qui n’a plus rien à apprendre)

(3) - Bodhisattva: Idéal du Bouddhisme Mahayana

(4) - Cittamâtra ou Yogâcâra, école selon laquelle toute chose perceptible est esprit.

(5) - Samsara : cycle des naissances, morts et renaissances successives dans l’un ou l’autre des domaines d’existence.

(6) - Pancaskandha : ce sont les cinq éléments qui constituent l'être humain, à savoir :

1. Rûpa, la forme ou la matérialité
2. Vedanâ : les sensations
3. Samjnâ : les perceptions
4. Samskâra : les formations mentales, la volition, l’action
5. Vijnâna : la conscience

(7) - Sharipoutra : un des dix principaux disciples du Bouddha, connu pour sa grande sagesse

(8) - Les Soutras de la Paramita sont une série de soutras mahayanistes de longueurs très variées, traitant de la sagesse transcendentale et de la Vacuité (Sunyata).

(9) - Shastra: traités relatifs aux questions dogmatiques et philosophiques soulevées par la doctrine bouddhique.

(10) - Les Trois Joyaux sont le Bouddha, le Dharma et le Sangha.

(11) - Bhikshu: moine pleinement ordonné.

(12) - Ashvagosha: érudit indien du Ier/IIème siècle.

(13) - Siddhi: pouvoirs psychiques couramment qualifiés de " surnaturels ", découlant de la maîtrise parfaite des énergies du corps et de la nature.

(14) - Samyutta III; Anguttara I.

(15) - On utilise Dharma pour désigner l’enseignement du Boud- dha et dharma pour les phénomènes.

(16) - En Vietnamien: Kinh Phap Ân.

(17) - Ksana: c’est la plus courte durée perceptible. Il est dit que chaque pensée est constituée de 90 ksana.

(18) - Pratyaksapramana: processus de cognition direct, immédiat, par opposition au mode de cognition déductif ou analytique. L’exemple classique pour illustrer ces deux types de cognition sont: 1) pour le premier: nous voyons la falmme, nous savons que c’est un feu. 2) pour le second: nous voyons la fumée s’élever derrière un mur, nous déduisons qu’il y a un feu derrière ce mur.

(19) - En vietnamien, samjna est traduit par " tuong ", qui dans l’usage courant signifie " imaginer, imagination ".

(20) - Karma = action

(21) - Van dê nhân thuc trong Duy Thuc Hoc

(22) - Kinh Phap Ân

(23) - Câu Xa Luân Cuong Yêu

(24) - Phât Hoc Tu Diên

(25) - " Phât Hoc Phô Thông ", Tome IX, p. 38

(26) - " Thiên Tu Niêm Xu ", Thich Tri Siêu, p. 50

(27) - Han-Viet: Sino-vietnamien, langue classique littéraire au vocabulaire et à la structure grammaticale proche du chinois.

(28) - Sutra du coeur: Prajnaparamita Hrdaya Sutra

(30) - Il y a actuellement 4 Ecoles principales dans le Bouddhisme tibétain, qui sont : les Nyingmapas les Kagyupas, les Sakyapas et les Guelougpas.

(31) - Kinh Niêm Xu

(33) - Kinh Dai Niêm Xu

(34) - Truong Bô Kinh

(35) - Méditation des Quatre Fondements de l’Attention.

 

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